Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/63

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lui fais du mal ; mais je l’ai exercé dès son enfance à tout endurer par amour-propre. Je n’en abuse pas, je ne suis pas sanguin (il voulait dire sanguinaire) ; mais, si je voulais, je le martyriserais, et il en serait enchanté. Voilà les bons, les vrais nègres ! Quand on sait les choisir et les dresser, ils ne vous quittent jamais.

— Monsieur, lui dis-je indigné, n’auriez-vous point acheté ces noirs sur la côte de Guinée ?

Mon oncle me regarda d’un air étonné, ne sachant où allait ma question ; mais M. Aubry la comprit fort bien.

— Vous croyez, me dit-il, que j’ai fait la traite ? Eh bien, pourquoi pas ? J’ai fait de tout, je vous l’ai dit, et cela n’a rien d’illégitime quand on achète à des peuplades qui vendent leurs enfants, leurs serviteurs et leurs femmes. Pourvu qu’on paye, ils sont contents, et j’ai toujours bien payé. Il y a des gredins qui faisaient marché avec les noirs, et qui emmenaient la marchandise en tuant les marchands. C’était autrefois ; mais de mon temps le commerce se faisait loyalement. Au reste, je n’y ai pas moisi, ça n’allait plus ; les Anglais nous embêtaient trop. À présent je me suis retiré des affaires, et, quand je me serai débarrassé de tout ce que vous voyez ici, je m’en irai à Saint-Malo vieillir en paix ; c’est mon pays. J’achèterai un vieux château, une grande terre, et, si mon gendre aime la campagne, je le mettrai à la tête de mon exploitation.

— Votre gendre ? lui dis-je ; quel gendre ?

Il prit cette protestation naïve pour une avance plus naïve encore. Il me sourit comme à un enfant qui