Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/99

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une fortune, une aisance quelconque, tout au moins un état assuré à mettre aux pieds d’une compagne si éprouvée déjà. Ensuite il faudrait un cœur de jeune homme, et ce cœur-là ne bat pas dans ma poitrine. Que veux-tu ! je suis de mon temps, et ce temps n’est plus aux grandes passions. J’ai été à même d’en concevoir tout comme un autre, mais les autres n’en avaient pas autour de moi. Ils se mariaient pour faire une fin ou un commencement d’existence sûre ou commode, ou bien ils prenaient leurs maîtresses au sérieux, et c’étaient là de grosses mais non de grandes passions : les femmes des autres, ou celles de tout le monde ! Moi, je n’ai jamais pu faire un drame ni un roman, pas même une petite nouvelle avec l’histoire de mes plaisirs. Je les ai subis plutôt que cherchés. Je me suis débarrassé de mon ignorance comme d’un fardeau, d’un étouffement : je n’ai pas trouvé moyen d’aimer.

Est-ce l’indigence de mon âme, la stérilité de mon imagination qui en sont cause ? C’est si honteux à avouer, que personne ne l’avoue. Moi, je veux bien l’avouer, si cela est ; mais le fait est que je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que l’amour que j’ai connu ne m’a pas appris la tendresse et qu’il m’a disposé à l’oubli facile. Peut-être aussi ma première curiosité légitime, mon premier rêve de famille ont-ils été froissés par l’aspect de l’affreuse mademoiselle Aubry et de son ignoble père ; mais, que ce soit ou non ma faute, je n’ai point aimé et je crois que je ne saurais plus aimer. Le culte des idées positives m’a détourné du culte d’Astarté. Toute idolâtrie m’est devenue suspecte, et la littérature romantique nous a gâté les femmes. Elles ont voulu trouver des René et des An-