Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/44

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III


— Mais avoue, dit-il à Flavien, qui se mit à rire encore plus fort que lui, dès qu’ils furent installés dans la patache héréditaire, avoue qu’on peut s’y tromper quand on ne voit pas très-bien, et que cette femme a un air de jeunesse…

Flavien riait toujours.

Thierray en fut piqué, et, pour se tenir parole à lui-même, il tourna si bien sa myopie en ridicule, que la gaieté de son ami en devint convulsive. Mais, s’arrêtant tout à coup :

— Je gage, dit Flavien, que tu ne sais pas de quoi je ris ?

Cette interpellation soudaine étourdit Thierray.

— Je ris, reprit Flavien, de l’impressionnabilité des poètes. Ils regardent tout sans rien voir d’abord, et puis, quand ils voient, ils ne regardent plus. Tu as examiné, analyse, disséqué la jeunesse et la beauté d’une femme ; mais tu ne l’as pas seulement aperçue telle qu’elle est, puisque sur un mot jeté au hasard par Gervais, ce matin, tu n’as pas été sûr qu’elle n’eût pas cinquante ans. Ton souvenir, qui s’intitulait passion, ne t’a présenté aucune certitude pour combattre une méprise bien simple. Tout à l’heure, tu as revu cette femme, et tu pouvais t’en rendre compte aussi bien que moi, car tu t’es approché d’elle presque ridiculement, et la clarté était suffisante. Cependant, persuadé qu’elle était vieille, tu n’as pas daigné l’apercevoir qu’elle est jeune, et tu la tiens maintenant pour une matrone, tandis que, moi qui ne suis ni amou-