Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/11

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à une circonstance qu’on trouvera certainement bien puérile, mais qui fut un grand événement pour moi, et comme le point de départ de mon existence.

Un jour, le père Jean me prit entre ses jambes, me donna une bonne claque sur la joue et me dit :

— Petite Nanette, écoutez-moi bien et faites grande attention à ce que je vais vous dire. Ne pleurez pas. Si je vous ai frappée, ce n’est pas que je sois fâché contre vous : au contraire, c’est pour votre bien.

J’essuyai mes yeux, je rentrai mes sanglots et j’écoutai.

— Voilà, reprit mon oncle, que vous avez onze ans, et vous n’avez pas encore travaillé hors de la maison. Ce n’est pas votre faute ; nous ne possédons rien et vous n’étiez pas assez forte pour aller en journée. Les autres enfants ont des bêtes à garder et ils les mènent sur le communal ; nous, nous n’avons jamais eu le moyen d’avoir des bêtes ; mais voilà que j’ai pu enfin mettre de côté quelque argent, et je compte aller aujourd’hui à la foire pour acheter un mouton. Il faut que vous me juriez par le bon Dieu d’avoir soin de lui. Si vous le faites bien manger, si vous ne le perdez pas, si vous tenez bien sa bergerie, il deviendra beau, et, avec l’argent qu’il me revaudra l’an qui vient, je vous en achèterai deux, et, l’année suivante quatre ; alors vous commencerez à être fière et à marcher de pair avec les autres jeunesses qui ont de la raison et qui font du profit à leur famille. M’avez-vous entendu et ferez-vous comme je vous dis ?

J’étais si émue que je pus à peine répondre ; mais mon grand-oncle comprit que j’avais bonne intention