Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/35

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tira sans trop de précautions, faisant crier le sable sous ses pieds, et même rallumant son cigare, en homme qui ne se méfie ou ne se soucie de rien. À la rapide lueur de son allumette, je distinguai une très-belle figure brune qui annonçait une trentaine d’années.

Quand il eut traversé la terrasse, il jeta adroitement une corde sur le haut du pilastre, serra dans ses dents son cigare allumé, et, grimpant sur le rebord de la balustrade, il franchit le pilier, en dehors, le long du précipice, avec une adresse et une tranquillité qui annonçaient une grande pratique de la gymnastique.

Je ne me rendis pas compte tout de suite de la manière dont il avait opéré son invasion et son évasion. Je crus qu’il avait sauté dans le ravin. Je courus regarder, et, au petit bruit que faisait la corde en glissant le long du pilier, je m’assurai que mon homme était passé sain et sauf dans la tonnelle des comédiens, et qu’il retirait tranquillement sa corde pour s’en servir une autre fois. Je l’entendis siffler le motif du chœur des montagnards de la Dame blanche, que l’on chantait peut-être en ce moment sur la scène ; puis ses pas se perdirent dans le jardin de la maison de ville. Ce devait être là le beau chanteur Albany, qu’une heure auparavant, la jalouse Julia soupçonnait de vouloir courir par-dessus mon mur à une aventure amoureuse.

Comme j’étais curieux de ce qu’il était venu chercher