Page:Sand - Questions politiques et sociales.djvu/89

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disciples de Jean-Jacques, de Montesquieu et de Voltaire, comme les athées enfin, car il y en avait aussi dans l’Assemblée, avaient perdu le sens de cette notion de solidarité que la philosophie chrétienne avait admirablement présentée jadis sous le nom de fraternité. La Révolution adopta donc ce mot de fraternité sans le comprendre, comme elle adopta celui d’égalité et celui même de liberté sans les approfondir.

En effet, la philosophie du xviiie siècle, admirable sous tant de rapports, incomplète et superficielle à tant d’autres égards, procédait du préjugé d’un état de nature, où l’homme ne vivant point en société n’aurait eu que des droits et point de devoirs. Les utopies de Jean-Jacques Rousseau sur cet état de bonheur et d’innocence, ses aspirations romanesques vers la forêt primitive, avaient pénétré beaucoup d’esprits.

Les âmes sensibles, comme on disait alors, détournaient comme lui leurs regards de cette société infâme où elles vivaient pour se forger un idéal de félicité à jamais perdue, à jamais regrettable. Ceux-là regardaient la société comme un mal, et, contraints de le subir, ils disaient : « L’homme isolé est naturellement bon. Il a tous les droits et ne peut en abuser. Mais l’homme rangé sous les lois de la société est méchant ; il faut que la loi l’enchaîne et paralyse les affreux instincts qui se sont développés en lui au contact de ses semblables. »

La philosophie de Voltaire n’avait pas même creusé si avant. Plus amère et plus positive, elle censurait la triste réalité des choses fugitives sans se préoccuper