Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/199

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dix fois par jour dans ses diverses appréciations ; et pourtant un jour vient où personne ne se trompe plus sur un certain point donné, qui est devenu évident pour tous, et que chacun s’imagine aussitôt avoir connu et admis de tout temps. Comment cela se fait-il ? Par le miracle du progrès, providence qui combat sans cesse la fatalité, et qui, au milieu de mille défaites, remporte à chaque phase du temps quelque victoire signalée, et inscrit dans ses archives quelque formule impérissable.

Quand la formule est trouvée, la vérité se démontre d’elle-même, et l’application n’est plus rien, parce qu’au moment où cette formule devient claire et acceptable pour tous, les expériences sont déjà faites. On a souffert longtemps et beaucoup avant d’en venir là. On peut apprécier les causes du mal et les détruire sans combat. Ceux qui sont restés par trop en arrière n’ont plus la force morale. On n’a qu’à secouer l’arbre ; la question est mûre, le fruit tombe.

Nous disions tout à l’heure que, du mariage impossible de deux formules contradictoires, la vérité ne pouvait naître. Ces deux formules, qui luttent dans l’humanité depuis tant de siècles, sont celle du pauvre et celle du riche. De tout temps, les riches ont dit : Nous voulons tout avoir. Les pauvres ont dit : Nous voulons avoir autant que vous.

Les tyrannies, les révolutions, les religions les sophismes, la foi et l’impiété, l’oppression et la révolte, tout y a passé, et la guerre dure encore. Le riche veut rester riche ; le pauvre ne veut pas rester pauvre.