Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/42

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aujourd’hui devant le Dieu qui préside aux destins de la France. Quatre cent mille hommes armés, marchant sur une ligne immense et dont l’œil ne pouvait voir ni le commencement ni la fin ; et, sur les flancs de cette colonne monstre, toute une population pour témoin de la manifestation de ses forces les plus vives. Douze heures pour épuiser le passage de ce flot, de ce fleuve, de cette mer humaine !

Les grandes choses matérielles causent un certain effroi. Les hautes montagnes donnent le vertige, l’océan épouvante la pensée, l’orage ébranle l’imagination. Toute admiration extraordinaire est mêlée de surprise et d’une sorte d’écrasement de notre être, qui se sent petit et faible devant les phénomènes de la création. Mais les grandes choses humaines causent une admiration tout opposée. Il s’y mêle une confiance sympathique, un élan de solidarité sans bornes, un attendrissement enthousiaste, un besoin d’aimer et d’embrasser l’humanité tout entière, qui font que notre être disparaît et que nous vivons par toutes les âmes, que nous respirons par toutes les poitrines, que nous voyons par tous les yeux, que nous crions par toutes les voix. La multitude ! qu’elle est puissante et qu’elle est douce ! Comme la loi divine est écrite sur son front, comme la vérité la conduit et la fait vibrer ! Quel magnifique et divin instrument de la puissance céleste ! C’est le génie de la terre qui marche en roi sur son domaine et qui fait tressaillir l’univers sous ses pieds. Et, quand cette âme de la création est inspirée d’une seule, d’une grande pensée, quand elle