Page:Sand - Tour de Percemont.djvu/190

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avec un regard tendre et un mot suppliant, on a de brillants chevaliers, prompts à toute folle entreprise. On leur confie ses plus intimes secrets ; il leur plaît fort, à eux, d’être pris pour confidents. La confiance n’est-elle pas la suprême faveur ? On les amorce ainsi, et tout aussitôt on les gouverne. On accepte leur amour pourvu qu’ils n’expriment pas trop clairement leurs désirs, on les expose sans scrupule à des scandales, on se sert de leur argent…

— Mon père !…

— Pas toi ! mais Jacques y est déjà pour une belle somme, je t’en réponds. On est riche, on s’acquittera, on conservera une reconnaissance sincère pour les deux amis, sauf à en épouser un troisième ; les autres se débrouilleront comme ils pourront. Je te le dis, mon garçon, il y a un ange avec qui tu viens de passer deux heures d’un tête-à-tête enivrant et douloureux à la fois ; mais sous cet ange, il y a une dévote ingrate, et peut-être une coquette consommée. Prends garde à toi, voilà ce que je te dis !

En m’écoutant, mon fils tisonnait fiévreusement, les yeux fixés sur la braise, le visage pâle en dépit de la lueur rouge qu’elle lui envoyait. Il me sembla que j’avais touché juste.

— Alors, dit-il en relevant et en fixant sur moi ses grands yeux noirs si expressifs, tu me blâmes d’avoir servi les desseins de cette demoiselle ?