Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/100

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— Mon amitié n’est-elle pas ?…

— Votre amitié ? c’est beaucoup plus que je ne mérite, Madame ; aussi je me sens indigne d’y répondre, et je n’en veux pas. Ah ! Valentine, vous devriez dormir toujours ; mais la femme la plus pure redevient hypocrite en s’éveillant. Votre amitié !

— Oh ! vous êtes égoïste, vous ne vous souciez pas de mes remords !

— Madame, je les respecte ; c’est pour cela que je veux mourir. Qu’êtes-vous venue faire ici ? Il fallait abjurer toute religion, tout scrupule, et venir à moi pour me dire : « Vis, et je t’aimerai ; » ou bien il fallait rester chez vous, m’oublier et me laisser périr. Vous ai-je rien demandé ? ai-je voulu empoisonner votre vie ? Me suis-je fait un jeu de votre bonheur, de vos principes ? Ai-je imploré votre pitié, seulement ? Tenez, Valentine, cette compassion que vous me témoignez, ce sentiment d’humanité qui vous amène ici, cette amitié que vous m’offrez, tout cela, ce sont de vains mots qui m’eussent trompé il y a un mois, lorsque j’étais un enfant et qu’un regard de vous me faisait vivre tout un jour. À présent, j’ai trop vécu, j’ai trop appris les passions pour m’aveugler. Je n’essaierai plus une lutte inutile et folle contre ma destinée. Vous devez me résister, je le sais ; vous le ferez, je n’en doute pas. Vous me jetterez parfois une parole d’encouragement et de pitié pour m’aider à souffrir, et encore vous vous la reprocherez comme un crime, et il faudra qu’un prêtre vous en absolve pour que vous vous la pardonniez. Votre vie sera troublée et gâtée par moi ; votre âme, sereine et pure jusqu’ici, sera désormais orageuse comme la mienne ! À Dieu ne plaise ! Et moi, en dépit de ces sacrifices qui vous sembleront grands, je me trouverai le plus misérable des hommes ! Non, non, Valentine, ne nous abusons pas. Il faut que je meure. Telle que vous êtes, vous ne pouvez pas m’aimer sans remords et sans tourments ; je ne veux point d’un bonheur qui vous coûterait si cher. Loin de vous accuser, c’est pour votre vertu, pour votre force que je vous aime avec tant d’ardeur et d’enthousiasme. Restez donc telle que vous êtes ; ne descendez pas au-dessous de vous-même pour arriver jusqu’à moi. Vivez, et méritez le ciel. Moi, dont l’âme est au néant, j’y veux retourner. Adieu, Valentine ; vous êtes venue me dire adieu, je vous en remercie.

Ce discours dont Valentine ne sentit que trop toute la force, la jeta dans le désespoir. Elle ne sut rien trouver pour y répondre, et se jeta la face contre le lit en pleurant avec une profonde amertume. Le plus grand charme de Valentine était une franchise d’impressions qui ne cherchait jamais à abuser ni elle-même ni les autres.

Sa douleur fit plus d’effet sur Bénédict que tout ce qu’elle eût pu dire : en voyant ce cœur si noble et si droit se briser à l’idée de le perdre, il s’accusa lui-même. Il saisit les mains de Valentine, elle pencha son front vers les siennes et les arrosa de larmes. Alors il fut comme inondé de joie, de force et de repentir.

— Pardon, Valentine, s’écria-t-il, je suis un lâche et un misérable, moi qui vous fais pleurer ainsi. Non, non ! je ne mérite pas ces regrets et cet amour ; mais Dieu m’est témoin que je m’en rendrai digne ! Ne m’accordez rien, ne me promettez rien ; ordonnez seulement, et j’obéirai. Oh ! oui, c’est mon devoir ; plutôt que de vous coûter une de ces larmes, je dois vivre, fussé-je malheureux ! Mais avec le souvenir de ce que vous avez fait pour moi aujourd’hui, je ne le serai pas, Valentine. Je jure que je supporterai tout, que je ne me plaindrai jamais, que je ne chercherai point à vous imposer des sacrifices et des combats. Dites-moi seulement que vous me plaindrez quelquefois dans le secret de votre cœur ; dites que vous aimerez Bénédict en silence et dans le sein de Dieu… Mais non, ne me dites rien, ne m’avez-vous pas tout dit ? Ne vois-je pas bien que je suis ingrat et stupide d’exiger plus que ces pleurs et ce silence !

N’est-ce pas une étrange chose que le langage de l’amour ? et, pour un spectateur froid, quelle inexplicable contradiction que ce serment de stoïcisme et de vertu, scellé par des baisers de feu, à l’ombre d’épais rideaux sur un lit d’amour et de souffrance ! Si l’on pouvait ressusciter le premier homme à qui Dieu donna une compagne avec un lit de mousse et la solitude des bois, en vain peut-être chercherions-nous dans cette âme primitive la puissance d’aimer. De combien de grandeur et de poésie le trouverions-nous ignorant ! Et que dirions-nous si nous découvrions qu’il est inférieur à l’homme dégénéré de la civilisation ? si ce corps athlétique ne renfermait qu’une âme sans passion et sans vigueur ?

Mais non, l’homme n’a pas changé, et sa force s’exerce contre d’autres obstacles ; voilà tout. Autrefois il domptait les ours et les tigres, aujourd’hui il lutte contre la société pleine d’erreurs et d’ignorance. Là est sa vigueur, son audace, et peut-être sa gloire. À la puissance physique a succédé la puissance morale. À mesure que le système musculaire s’énervait chez les générations, l’esprit humain grandissait en énergie.

La guérison de Valentine fut prompte ; celle de Bénédict plus lente, mais miraculeuse néanmoins pour ceux qui n’en surent point le secret. Madame de Raimbault ayant gagné son procès, succès dont elle s’attribua tout l’honneur, revint passer quelques jours