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Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/63

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— À moi, madame la fermière !

Quoiqu’on bût le vin du cru à la ferme, M. Lhéry avait en réserve pour les grandes occasions, d’excellent champagne ; mais personne n’y fit honneur. L’ivresse morale était assez forte. Ces êtres jeunes et sains n’avaient pas besoin d’exciter leurs nerfs et de fouetter leur sang. Après le dîner ils jouèrent à se cacher et à se poursuivre dans les prés. M. et Mme Lhéry eux-mêmes, libres enfin des soins de la journée, se mirent de la partie. On y admit encore une jolie servante de ferme et les enfants du métayer. Bientôt la prairie ne retentit plus que de rires et de cris joyeux. Ce fut le dernier coup pour la raison de Bénédict. Poursuivre Valentine, ralentir sa course pour la laisser fuir devant lui et la forcer de s’égarer dans les buissons, puis fondre sur elle à l’improviste, s’amuser de ses cris, de ses ruses, la joindre enfin et n’oser la toucher, mais voir son sein agité, ses joues vermeilles et ses yeux humides, c’en était trop pour un seul jour.

Athénaïs, remarquant en elle-même ces fréquentes absences de Bénédict et de Valentine, et voulant faire courir après elle, proposa de bander les yeux au poursuivant. Elle serra malicieusement le mouchoir à Bénédict, s’imaginant qu’il ne pourrait plus choisir sa proie ; mais Bénédict s’en souciait bien ! L’instinct de l’amour, ce charme puissant et magique qui fait reconnaître à l’amant l’air où sa maîtresse a passé, le guidait aussi bien que ses yeux ; il atteignait toujours Valentine, et, plus heureux qu’à l’autre jeu, il pouvait la saisir dans ses bras, et, feignant de ne pas la reconnaître, l’y garder longtemps. Ces jeux-là sont la plus dangereuse chose du monde.

Enfin la nuit vint, Valentine parla de se retirer ; Bénédict était auprès d’elle, et ne sut pas dissimuler son chagrin.

— Déjà ! s’écria-t-il d’une grosse et rude manière qui porta jusqu’au fond du cœur de Valentine la conviction de la vérité.

— Déjà ! en effet, répondit-elle ; cette journée m’a semblé bien courte.

Et elle embrassa sa sœur ; mais n’avait-elle songé qu’à Louise en le disant ?

On apprêta la carriole, Bénédict se promettait encore quelques instants de bonheur ; mais l’arrangement des places trompa son attente. Louise se mit tout au fond pour n’être pas aperçue aux environs du château. Sa sœur se mit auprès d’elle. Athénaïs s’assit sur la banquette de devant, auprès de son cousin ; il en eut tant d’humeur qu’il ne lui adressa pas un mot pendant toute la route.

À l’entrée du parc, Valentine le pria d’arrêter à cause de Louise qui craignait toujours d’être vue malgré l’obscurité. Bénédict sauta à terre et l’aida à descendre. Tout était sombre et silencieux autour de cette riche demeure, que Bénédict eût voulu voir s’engloutir. Valentine embrassa sa sœur et Athénaïs, tendit la main à Bénédict, qui, cette fois, osa la baiser, et s’enfuit dans le parc. À travers la grille, Bénédict vit pendant quelques instants flotter sa robe blanche qui s’éloignait parmi les arbres ; il aurait oublié toute la terre, si Athénaïs, l’appelant du fond de de la carriole, ne lui eût dit avec aigreur :

— Eh bien ! allez-vous nous laisser coucher ici ?





XV


Personne ne dormit à la ferme dans la nuit qui suivit cette journée. Athénaïs se trouva mal en rentrant ; sa mère en conçut une vive inquiétude, et ne consentit à se coucher que pressée par les instances de Louise. Celle-ci s’engagea à passer la nuit dans la chambre de sa jeune compagne, et Bénédict se retira dans la sienne, où partagé entre la joie et le remords, il ne put goûter un instant de repos.

Après la fatigue d’une attaque de nerfs, Athénaïs s’endormit profondément ; mais bientôt les chagrins qui l’avaient torturée durant le jour se présentèrent dans les images de son sommeil, et elle se mit à pleurer amèrement. Louise, qui s’était assoupie sur une chaise, s’éveilla en sursaut en l’entendant sangloter ; et se penchant vers elle, lui demanda avec affection la cause de ses larmes. N’en obtenant pas de réponse, elle s’aperçut qu’elle dormait et se hâta de l’arracher à cet état pénible. Louise était la plus compatissante personne du monde ; elle avait tant souffert pour son compte, qu’elle sympathisait avec toutes les peines d’autrui. Elle mit en œuvre tout ce qu’elle possédait de douceur et de bonté pour consoler la jeune fille ; mais celle-ci se jetant à son cou :

— Pourquoi voulez-vous me tromper aussi ? s’écria-t-elle ; pourquoi voulez-vous prolonger une erreur qui doit cesser entièrement tôt ou tard ? Mon cousin ne m’aime pas ; il ne m’aimera jamais, vous le savez bien ! Allons, convenez qu’il vous l’a dit.

Louise était fort embarrassée de lui répondre. Après le jamais qu’avait prononcé Bénédict (mot dont elle ne pouvait apprécier la valeur), elle n’osait pas répondre de l’avenir à sa jeune amie, dans la crainte de lui apprêter une déception. D’un autre côté, elle aurait voulu trouver un motif de consolation ; car sa douleur l’affligeait sincèrement. Elle s’attacha donc à lui démontrer que si son cousin n’avait pas d’amour pour elle, du moins il n’était pas vraisemblable qu’il en eût pour aucune autre femme, et elle s’efforça de lui faire espérer qu’elle triompherait de