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têtes de boches

quelles il nous voyait condamnés, et qu’il avait mission de nous appliquer, semblaient lui causer un dégoût réel. Seul de toute la bande, il conservait un maintien militaire tel qu’on se plaît à l’imaginer d’après les récits des temps anciens. On aurait dit qu’il ne se sentait pas à sa place, comme officier, parmi les garde-chiourme dont il partageait l’infamie. Quelle différence entre le Lièvre effrayé et le docktor Rueck, médecin du camp !

Ce juif, petit, boulot, fleurant le suint, était l’homme le plus faux de tous ces hommes faux qui nous entouraient. Il avait la manie dangereuse de déclarer à qui l’écoutait qu’il n’était pas Allemand et qu’il n’était pas soldat. Lui aussi il se plaçait au-dessus de la mêlée, se contentant d’être juif et médecin. Ainsi il essayait d’amadouer les prisonniers par l’étalage factice d’une bonhomie rondouillarde qui pouvait dérouter d’abord. Nous apprîmes à le connaître. Il recherchait la conversation des Français et s’efforçait de leur tirer les vers du nez. Il se targuait de ne pas appartenir à l’état-major du camp. Au fond, il avait pour nous autant de basse rancune que les autres, et il fit punir deux officiers, l’un qui ne l’avait pas salué, et l’autre, l’abbé T***, qui avait prononcé tout haut le vocable ignoble de « Boche ». Herr doktor Rueck désirait étudier de près les Français sur lesquels il avait jusqu’alors les idées les plus saugrenues, qu’il rejetait d’ailleurs avec peine. Quand un nouvel officier arrivait à Vöhrenbach, il subissait un examen médical et moral minutieux. Le médecin juif l’auscultait, le tournait, le palpait, le retournait, touchait les blessures, interrogeait les réflexes, tâtait le pouls et posait au patient les ques-