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le purgatoire

tions les plus indiscrètes sur sa vie intime et sur son ascendance. Il voulait absolument que chacun de nous fût atteint de maladies vénériennes, et il tombait de haut en constatant que le nombre des Français pourris était pour ainsi dire nul. Et ses étonnements l’amenaient à des grossièretés de langage inouïes. Je me rappellerai longtemps qu’il me demanda avec une insistance sinistre s’il n’y avait pas eu de fous dans ma famille.

Le doktor Rueck n’avait pas rang d’officier. Son compagnon ordinaire était le feldwebel-leùtnant du camp. Pendant la guerre, l’Allemagne a accordé la patte d’épaule de leùtnant à de nombreux feldwebels, de même que la France a créé des officiers à titre temporaire. Mais, tandis que dans notre armée les officiers à titre temporaire sont sur le pied d’égalité en face des officiers à titre définitif, les feldwebels-leùtnants n’ont de l’officier que les droits de commandement, rien de plus, et ils ne mangent pas à la même table que les officiers propriétaires de leur titre. Celui de Vöhrenbach était le grotesque de l’endroit. Sabre de bois, ainsi appelé parce qu’il était tout fier d’avoir au côté un sabre terrible, avait un autre sobriquet : Barzinque, corruption de « par cinq », que nous nous plaisions à lui faire répéter chaque fois qu’il était chargé de l’appel, où nous devions nous aligner sur cinq rangs de profondeur. Chien de quartier comme l’était l’adjudant de semaine à la caserne en temps de paix, Barzinque rôdait du matin au soir de corridor en corridor. Il était sans cesse aux aguets derrière une porte, et c’était notre joie de sortir précipitamment de nos chambres pour bousculer un