Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La plus grave erreur de méthode que nous rappelons ici bien qu'elle ne se rattache pas aux principes exposés plus haut, consiste à formuler une loi phonétique au présent, comme si les faits qu’elle embrasse existaient une fois pour toutes, au lieu qu’ils naissent et meurent dans une portion du temps. C’est le chaos, car ainsi on supprime toute succession chronologique des événements. Nous avons déjà insisté sur ce point p. 137 sv., en analysant les phénomènes successifs qui expliquent la dualité tríkhes : thriksí. Quand on dit : « s devient r en latin », on fait croire que la rotacisation est inhérente à la nature de la langue, et l’on reste embarrassé devant des exceptions telles que causa, rīsus, etc. Seule la formule : « s intervocalique est devenu r en latin à une certaine époque » autorise à penser qu’au moment où s passait à r, causa, rīsus, etc., n’avaient pas de s intervocalique et étaient à l'abri du changement ; en effet on disait encore caussa, rīssus. C’est pour une raison analogue qu’il faut dire : « ā est devenu ē en dialecte ionien (cf. mā́tērmḗtēr, etc.), car sans cela on ne saurait que faire de formes telles que pâsa, phāsi, etc. (qui étaient encore pansa, phansi, etc., à l’époque du changement).

§ 4.

Causes des changements phonétiques.

La recherche de ces causes est un des problèmes les plus difficiles de la linguistique. On a proposé plusieurs explications, dont aucune n’apporte une lumière complète.

I. On a dit que la race aurait des prédispositions traçant d’avance la direction des changements phonétiques. Il y a là une question d’anthropologie comparée : mais l’appareil phonatoire varie-t-t-il d’une race à l’autre? Non, guère plus que d’un individu à un autre ; un nègre transplanté dès sa naissance en France parle le français aussi bien que les indigènes. De plus, quand on se sert d’expressions telles que « l’organe italien » ou « la bouche des Germains n’ad-