Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/205

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France répugnent moins que le français du Nord aux groupes consonantiques, que le serbe en présente autant que le russe moscovite, etc.

III. On a fait intervenir la loi du moindre effort, qui remplacerait deux articulations par une seule, ou une articulation difficile par une autre plus commode. Cette idée, quoi qu’on dise, mérite l’examen : elle peut élucider la cause du phénomène dans une certaine mesure, ou indiquer tout au moins la direction où il faut la chercher.

La loi du moindre effort semble expliquer un certain nombre de cas: ainsi le passage de l’occlusive à la spirante (habēreavoir), la chute de masses énormes de syllabes finales dans beaucoup de langues, les phénomènes d’assimilation (par exemple lyll, *alyos → gr. állos, tnnn, *atnos → lat. annus), la monophtongaison des diphtongues, qui n’est qu’une variété de l’assimilation (par exemple aię, franç. maizõnmęzõ « maison »), etc.

Seulement on pourrait mentionner autant de cas où il se passe exactement le contraire. A la monophtongaison on peut opposer par exemple le changement de ī ū ṻ allemand en ei au eu. Si l’on prétend que l’abrègement slave de ā, ē en ă, ĕ est dû au moindre effort, alors il faut penser que le phénomène inverse présenté par l’allemand (făterVāter, gĕbengēben) est dû au plus grand effort. Si l’on tient la sonore pour plus facile à prononcer que la sourde (cf. opera → prov. obra), l’inverse doit nécessiter un effort plus grand, et pourtant l’espagnol a passé de ž à χ (cf. hiχo « le fils » écrit hijo), et le germanique a changé b d g en p t k. Si la perte de l’aspiration (cf. indo-européen. *bherō → germ. beran) est considérée comme une diminution de l’effort, que dire de l’allemand, qui la met là où elle n’existait pas (Tanne, Pute, etc. prononcés Thanne, Phute) ?

Ces remarques ne prétendent pas réfuter la solution proposée. En fait on ne peut guère déterminer pour chaque langue ce qui est plus facile ou plus difficile à prononcer.