Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/206

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S’il est vrai que l’abrègement correspond à un moindre effort dans le sens de la durée, il est tout aussi vrai que les prononciations négligées tombent dans la longue et que la brève demande plus de surveillance. Ainsi, en supposant des prédispositions différentes on peut présenter deux faits opposés sous une même couleur. De même, là où k est devenu (cf. lat. cēdere → ital. cedere), il semble, à ne considérer que les termes extrêmes du changement, qu’il y ait augmentation d’effort ; mais l’impression serait peut-être autre si l’on rétablissait le chaîne : k devient k’ palatal par assimilation à la voyelle suivante : puis k’ passe à ky ; la prononciation n’en devient pas plus difficile : deux éléments enchevêtrés dans k’ ont été nettement différenciés : puis de ky, on passe successivement à ty, tχ’, tš, partout avec effort moins grand.

Il y aurait là une vaste étude à faire, qui, pour être complète, devrait considérer à la fois le point de vue physiologique (question de l’articulation) et le point de vue psychologique (question de l’attention).

IV. Une explication en faveur depuis quelques années attribue les changements de prononciation à notre éducation phonétique dans l’enfance. C’est après beaucoup de tâtonnements, d’essais et de rectifications que l’enfant arrive à prononcer ce qu’il entend autour de lui ; là serait le germe des changements ; certaines inexactitudes non corrigées l’emporteraient chez l’individu et se fixeraient dans la génération qui grandit. Nos enfants prononcent souvent t pour k, sans que nos langues présentent dans leur histoire de changement phonétique correspondant ; mais il n’en est pas de même pour d’autres déformations ; ainsi à Paris beaucoup d’enfants prononcent fl’eur, bl’anc avec l mouillé ; or en italien c’est par un procès analogue que florem a passé à fl’ore puis à fiore.

Ces constatations méritent toute attention, mais laissent le problème intact ; en effet on ne voit pas pourquoi une géné-