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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/255

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Commençons par la désinence, c’est-à-dire la caractéristique flexionnelle ou élément variable de fin de mot qui distingue les formes d’un paradigme nominal ou verbal. Dans zeúgnū-mi, zeúgnū-s, zeúgnū-si, zeúgnu-men, etc., « j’attelle, etc. », les désinences, -mi, -s, -si, etc., se délimitent simplement parce qu’elles s’opposent entre elles et avec la partie antérieure du mot (zeugnū̆-). On a vu (pp. 123 et 163) à propos du génitif tchèque žen, par opposition au nominatif žena, que l’absence de désinence peut jouer le même rôle qu’une désinence ordinaire. Ainsi en grec zeúgnū ! « attelle ! » opposé à zeúgnu-te ! « attelez ! », etc., ou le vocatif rhêtor ! opposé à rhḗtor-os, etc., en français marš (écrit « marche ! »), opposé à maršõ (écrit « marchons ! »), sont des formes fléchies à désinence zéro.

Par l’élimination de la désinence on obtient le thème de flexion ou radical, qui est, d’une façon générale, l’élément commun dégagé spontanément de la comparaison d’une série de mots apparentés, fléchis ou non, et qui porte l’idée commune à tous ces mots. Ainsi en français dans la série roulis, rouleau, rouler, roulage, roulement, on perçoit sans peine un radical roul-. Mais l’analyse des sujets parlants distingue souvent dans une même famille de mots des radicaux de plusieurs espèces, ou mieux de plusieurs degrés. L’élément zeugnū́ , dégagé plus haut de zeúgnū-mi, zeúgnū-s, etc., est un radical du premier degré ; il n’est pas irréductible, car si on le compare avec d’autres séries (zeúgnūmi, zeuktós, zeûksis, zeuktêr, zugón, etc., d’une part, zeúgnūmi, deíknūmi, órnūmi, etc., d’autre part), la division zeug-nu se présentera d’elle-même. Ainsi zeug- (avec ses formes alternantes zeug- zeuk- zug-, voir p. 220)


    être entièrement réservé ; il va sans dire que la distinction diachronique établie plus haut entre les composés et les agglutinés ne saurait être transportée telle quelle ici, où il s’agit d’analyser un état de langue. Il est à peine besoin de faire remarquer que cet exposé, relatif aux sous-unités, ne prétend pas résoudre la question plus délicate soulevée pp. 147 et 154, de la définition du mot considéré comme unité (Éd.).