Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/256

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est un radical du second degré ; mais il est, lui, irréductible, car on ne peut pas pousser plus loin la décomposition par comparaison des formes parentes.

On appelle racine cet élément irréductible et commun à tous les mots d’une même famille. D’autre part, comme toute décomposition subjective et synchronique ne peut séparer les éléments matériels qu’en envisageant la portion de sens qui revient à chacun d’eux, la racine est à cet égard l’élément où le sens commun à tous les mots parents atteint le maximum d’abstraction et de généralité. Naturellement, cette indétermination varie de racine à racine ; mais elle dépend aussi, dans une certaine mesure, du degré de réductibilité du radical ; plus celui-ci subit de retranchements, plus son sens a de chances de devenir abstrait. Ainsi zeugmátion désigne un « petit attelage », zeûgma un « attelage » sans détermination spéciale, enfin zeug- renferme l’idée indéterminée d’« atteler ».

Il s’ensuit qu’une racine, comme telle, ne peut constituer un mot et recevoir l’adjonction directe d’une désinence. En effet un mot représente toujours une idée relativement déterminée, au moins au point de vue grammatical, ce qui est contraire à la généralité et à l’abstraction propres à la racine. Que faut-il alors penser du cas très fréquent où racine et thème de flexion semblent se confondre, comme on le voit dans le grec phlóks, gén. phlogós « flamme », comparé à la racine phleg- : phlog- qui se trouve dans tous les mots de la même famille (cf. phlég-ō, etc.) ? N’est-ce pas en contradiction avec la distinction que nous venons d’établir ? Non, car il faut distinguer phleg- : phlog- à sens général et phlog- à sens spécial, sous peine de ne considérer que la forme matérielle à l’exclusion du sens. Le même élément phonique a ici deux valeurs différentes ; il constitue donc deux éléments linguistiques distincts (voir p. 147). De même que plus haut zeúgnū ! « attelle ! », nous apparaissait comme un mot fléchi à désinence zéro, nous