Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/275

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ou bien l’aire d’une innovation couvre tout le territoire, et elle ne crée aucune différence dialectale (c’est le cas le plus rare) ; ou bien, comme il arrive ordinairement, la transformation n’atteint qu’une portion du domaine, chaque fait dialectal ayant son aire spéciale. Ce que nous disons ci-après des changements phonétiques doit s’entendre de n’importe quelle innovation. Si par exemple une partie du territoire est affectée du changement de a en e :


il se peut qu’un changement de s en z se produise sur ce même territoire, mais dans d’autres limites :


et c’est l’existence de ces aires distinctes qui explique la diversité des parlers sur tous les points du domaine d’une langue, quand elle est abandonnée à son évolution naturelle. Ces aires ne peuvent pas être prévues ; rien ne permet de déterminer d’avance leur étendue, on doit se borner à les constater. En se superposant sur la carte, où leurs limites s’entrecroisent, elles forment des combinaisons extrêmement compliqués. Leur configuration est parfois paradoxale ; ainsi c et g latins devant a se sont changés en tš, dž, puis š, ž (cf. cantumchant, virgaverge), dans tout le nord de la France sauf en Picardie et dans une partie de la Normandie, où c, g sont restés intacts (cf. picard cat pour chat, rescapé pour réchappé, qui a passé récemment en français, vergue de virga cité plus haut, etc.).