Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/276

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Que doit-il résulter de l’ensemble de ces phénomènes ? Si à un moment donné une même langue règne sur toute l’étendue d’un territoire, au bout de cinq ou dix siècles les habitants de deux points extrêmes ne s’entendront probablement plus ; en revanche ceux d’un point quelconque continueront à comprendre le parler des régions avoisinantes. Un voyageur traversant ce pays d’un bout à l’autre ne constaterait, de localité en localité, que des variétés dialectales très minimes ; mais ces différences s’accumulant à mesure qu’il avance, il finirait par rencontrer une langue inintelligible pour les habitants de la région d’où il serait parti. Ou bien, si l’on part d’un point du territoire pour rayonner dans tous les sens, on verra la somme des divergences augmenter dans chaque direction, bien que de façon différente.

Les particularités relevées dans le parler d’un village se retrouveront dans les localités voisines, mais il sera impossible de prévoir jusqu’à quelle distance chacune d’elles s’étendra. Ainsi à Douvaine, bourg du département de la Haute-Savoie, le nom de Genève se dit đenva ; cette prononciation s’étend très loin à l’est et au sud ; mais de l’autre côté du lac Léman on prononce dzenva ; pourtant il ne s’agit pas de deux dialectes nettement distincts, car pour un autre phénomène les limites seraient différentes ; ainsi à Douvaine on dit daue pour deux, mais cette prononciation a une aire beaucoup plus restreinte que celle de đenva ; au pied du Salève, à quelques kilomètres de là, on dit due.

§ 3.

Les dialectes n’ont pas de limites naturelles.

L’idée qu’on se fait couramment des dialectes est tout autre. On se les représente comme des types linguistiques parfaitement déterminés, circonscrits dans tous les sens et couvrant sur la carte des territoires juxtaposés et distincts (a, b, c, d, etc.).