Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/283

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sion d’une fête ou d’une foire, qui réunit sous les drapeaux les hommes de provinces diverses, etc. En un mot, c’est un principe unifiant, qui contrarie l’action dissolvante de l’esprit de clocher.

C’est à l’intercourse qu’est due l’extension et la cohésion d’une langue. Il agit de deux manières : tantôt négativement : il prévient le morcellement dialectal en étouffant une innovation au moment où elle surgit sur un point ; tantôt positivement : il favorise l’unité en acceptant et propageant cette innovation. C’est cette seconde forme de l’intercourse qui justifie le mot onde pour désigner les limites géographiques d’un fait dialectal (voir p. 277) ; la ligne isoglossématique est comme le bord extrême d’une inondation qui se répand, et qui peut aussi refluer.

Parfois on constate avec étonnement que deux parlers d’une même langue, dans des régions fort éloignées l’une de l’autre, ont un caractère linguistique en commun ; c’est que le changement surgi d’abord à un endroit du territoire n’a pas rencontré d’obstacle à sa propagation et s’est étendu de proche en proche très loin de son point de départ. Rien ne s’oppose à l’action de l’intercourse dans une masse linguistique où il n’existe que des transitions insensibles.

Cette généralisation d’un fait particulier, quelles que soient ses limites, demande du temps, et ce temps, on peut quelquefois le mesurer. Ainsi la transformation de þ en d, que l’intercourse a répandue sur toute l’Allemagne continentale, s’est propagée d’abord dans le sud, entre 800 et 850, sauf en francique, où þ persiste sous la forme douce đ et ne cède le pas à d que plus tard. Le changement de t en z (pron. ts) s’est produit dans des limites plus restreintes et a commencé à une époque antérieure aux premiers documents écrits ; elle a dû partir des Alpes vers l’an 600 et s’étendre à la fois au nord et au sud, en Lombardie. Le t se lit encore dans une charte thuringienne du viiie siècle. A une époque plus récente, les ī et les ū germaniques sont