Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/284

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devenus des diphtongues (cf. mein pour mīn, braun pour brūn) ; parti de Bohême vers 1400, le phénomène a mis 300 ans pour arriver au Rhin et couvrir son aire actuelle.

Ces faits linguistiques se sont propagés par contagion, et il est probable qu’il en est de même de toutes les ondes ; elles partent d’un point et rayonnent. Ceci nous amène à une seconde constatation importante.

Nous avons vu que le facteur temps suffit pour expliquer la diversité géographique. Mais ce principe ne se vérifie entièrement que si l’on considère le lieu où est née l’innovation.

Reprenons l’exemple de la mutation consonantique allemande. Si un phonème t devient ts sur un point du territoire germanique, le nouveau son tend à rayonner autour de son point d’origine, et c’est par cette propagation spatiale qu’il entre en lutte avec le t primitif ou avec d’autres sons qui ont pu en sortir sur d’autres points. À l’endroit où elle prend naissance, une innovation de ce genre est un fait phonétique pur ; mais ailleurs elle ne s’établit que géographiquement et par contagion. Ainsi le schéma

t
ts

n’est valable dans toute sa simplicité qu’au foyer d’innovation ; appliqué à la propagation, il en donnerait une image inexacte.

Le phonéticien distinguera donc soigneusement les foyers d’innovation, où un phonème évolue uniquement sur l’axe du temps, et les aires de contagion qui, relevant à la fois du temps et de l’espace, ne sauraient intervenir dans la théorie des faits phonétiques purs. Au moment où un ts, venu du dehors, se substitue à t, il ne s’agit pas de la modification d’un prototype traditionnel, mais de l’imitation d’un parler voisin, sans égard à ce prototype ; quand une