Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/309

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à peu combien sont rares les mots dont l’origine est bien établie, et l’on est devenu plus circonspect. Voici un exemple des témérités d’autrefois : étant donnés servus et servāre, on les rapproche — on n’en a peut-être pas le droit ; puis on donne au premier la signification de « gardien », pour en conclure que l’esclave a été à l’origine le gardien de la maison. Or on ne peut pas même affirmer que servāre ait eu d’abord le sens de « garder ». Ce n’est pas tout : les sens des mots évoluent : la signification d’un mot change souvent en même temps qu’un peuple change de résidence. On a cru voir aussi dans l’absence d’un mot la preuve que la civilisation primitive ignorait la chose désignée par ce mot ; c’est une erreur. Ainsi le mot pour « labourer » manque dans les idiomes asiatiques ; mais cela ne signifie pas que cette occupation fût inconnue à l’origine : le labour a pu tout aussi bien tomber en désuétude ou se faire par d’autres procédés, désignés par d’autres mots.

La possibilité des emprunts est un troisième facteur qui trouble la certitude. Un mot peut passer après coup dans une langue en même temps qu’une chose est introduite chez le peuple qui la parle, ainsi le chanvre n’a été connu que très tard dans le bassin de la Méditerranée, plus tard encore dans les pays du Nord ; à chaque fois le nom du chanvre passait avec la plante. Dans bien des cas, l’absence de données extra-linguistiques ne permet pas de savoir si la présence d’un même mot dans plusieurs langues est due à l’emprunt ou prouve une tradition primitive commune.

Ce n’est pas à dire qu’on ne puisse dégager sans hésitation quelques traits généraux et même certaines données précises : ainsi les termes communs indiquant la parenté sont abondants et se sont transmis avec une grande netteté ; ils permettent d’affirmer que, chez les Indo-européens, la famille était une institution aussi complexe que régulière : car leur langue connaît en cette matière des nuances que nous ne pouvons rendre. Dans Homère eináteres veut dire