Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/310

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« belles-sœurs » dans le sens de « femmes de plusieurs frères » et galóōi « belles-sœurs » dans le sens de « femme et sœur du mari entre elles » ; or le latin janitrīcēs correspond à eináteres pour la forme et la signification. De même le « beau-frère, mari de la sœur » ne porte pas le même nom que les « beaux-frères, maris de plusieurs sœurs entre eux ». Ici on peut donc vérifier un détail minutieux, mais en général on doit se contenter d’un renseignement général. Il en est de même des animaux : pour des espèces importantes comme l’espèce bovine, non seulement on peut tabler sur la coïncidence de grec boûs, all. Kuh, sanscrit gau-s etc., et reconstituer un indo-européen *g1ōu-s, mais la flexion a les mêmes caractères dans toutes les langues, ce qui ne serait pas possible s’il s’agissait d’un mot emprunté postérieurement à une autre langue.

Qu’on nous permette d’ajouter ici, avec un peu plus de détails, un autre fait morphologique qui a ce double caractère d’être limité à une zone déterminée et de toucher à un point d’organisation sociale.

Malgré tout ce qui a été dit sur le lien de dominus avec domus, les linguistes ne se sentent pas pleinement satisfaits, parce qu’il est au plus haut point extraordinaire de voir un suffixe -no- former des dérivés secondaires ; on n’a jamais entendu parler d’une formation comme serait en grec *oiko-no-s ou *oike-no-s de oîkos, ou en sanscrit *açva-na- de açva-. Mais c’est précisément cette rareté qui donne au suffixe de dominus sa valeur et son relief. Plusieurs mots germaniques sont, selon nous, tout à fait révélateurs :

1o *þeuđa-na-z « le chef de la *þeuđō, le roi », got. þiudans, vieux saxon thiodan (*þeuđō, got. þiuda, = osque touto « peuple »).

2o *druᵪti-na-z (partiellement changé en *druᵪtī-na-z) « le chef de la *druᵪti-z, de l’armée », d’où le nom chrétien pour « le Seigneur, c’est-à-dire Dieu », v. norr. Dróttinn, anglo-saxon Dryhten, tous les deux avec la finale -ĭna-z.