Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/317

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de leurs alternances (par exemple hébreu qāṭal « il a tué », qṭōl « tuer », avec suffixe qṭāl-ū « ils ont tué », avec préfixe, ji-qṭōl « il tuera », avec l’un et l’autre ji-qṭl-ū « ils tueront » etc.).

En face de ces faits et malgré les affirmations auxquelles ils ont donné lieu, il faut maintenir notre principe : il n’y a pas de caractères immuables ; la permanence est un effet du hasard ; si un caractère se maintient dans le temps, il peut tout aussi bien disparaître avec le temps. Pour nous en tenir au sémitique, on constate que la « loi » des trois consonnes n’est pas si caractéristique de cette famille, puisque d’autres présentent des phénomènes tout à fait analogues. En indo-européen aussi, le consonantisme des racines est soumis à des lois précises ; par exemple, elles n’ont jamais deux sons de la série i, u, r, l, m, n après leur e ; une racine telle que *serl est impossible, etc. Il en est de même, à un plus haut degré, du jeu des voyelles en sémitique ; l’indo-européen en présente un tout aussi précis, bien que moins riche ; des oppositions telles que hébreu daƀar « parole », dbār-īm « paroles », dibrē-hem « leurs paroles » rappellent celles de l’allemand Gast : Gäste, fliessen : floss, etc. Dans les deux cas la genèse du procédé grammatical est la même. Il s’agit de modifications purement phonétiques, dues à une évolution aveugle ; mais les alternances qui en sont résultées ont été saisies par l’esprit, qui leur a attaché des valeurs grammaticales et a propagé par l’analogie des modèles fournis par le hasard de l’évolution phonétique. Quant à l’immutabilité des trois consonnes en sémitique, elle n’est qu’approximative, et n’a rien d’absolu. On pourrait en être certain a priori ; mais les faits confirment cette vue : en hébreu, par exemple, si la racine de ’anāš-īm « hommes » présente les trois consonnes attendues, son singulier ’īš n’en offre que deux ; c’est la réduction phonétique d’une forme plus ancienne qui en contenait trois. D’ailleurs, même en admettant