Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/316

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retrouver dans telle ou telle des langues dérivées : l’inverse est également vrai. Il n’est pas rare même de constater que les traits communs à tous les représentants d’une famille sont étrangers à l’idiome primitif ; c’est le cas de l’harmonié vocalique (c’est-à-dire d’une certaine assimilation du timbre de toutes les voyelles des suffixes d’un mot à la dernière voyelle de l’élément radical). Ce phénomène se rencontre en ouralo-altaïque, vaste groupe de langues parlées en Europe et en Asie depuis la Finlande jusqu’à la Mandchourie ; mais ce caractère remarquable est dû, selon toute probabilité, à des développements ultérieurs ; ce serait donc un trait commun sans être un trait originel, à tel point qu’il ne peut être invoqué pour prouver l’origine commune (très contestée) de ces langues, pas plus que leur caractère agglutinatif. On a reconnu également que le chinois n’a pas toujours été monosyllabique.

Quand on compare les langues sémitiques avec le proto-sémite reconstitué, on est frappé à première vue de la persistance de certains caractères ; plus que toutes les autres familles, celle-ci donne l’illusion d’un type immuable, permanent, inhérent à la famille. On le reconnaît aux traits suivants, dont plusieurs s’opposent d’une façon saisissante à ceux de l’indo-européen : absence presque totale de composés, usage restreint de la dérivation ; flexion peu développée (plus, cependant, en protosémite que dans les langues filles), d’où un ordre de mots lié à des règles strictes. Le trait le plus remarquable concerne la constitution des racines (voir p. 256) ; elles renferment régulièrement trois consonnes (par exemple q-ṭ-l « tuer »), qui persistent dans toutes les formes à l’intérieur d’un même idiome (cf. hébreu qāṭal, qāṭlā, qṭōl, qiṭlī, etc.), et d’un idiome à l’autre (cf. arabe qatala, qutila, etc.). Autrement dit, les consonnes expriment le « sens concret » des mots, leur valeur lexicologique, tandis que les voyelles, avec le concours, il est vrai, de certains préfixes et suffixes, marquent exclusivement les valeurs grammaticales par le jeu