Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/51

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bet latin n’offrant aucun signe pour le représenter, on le rendit par th. Le roi mérovingien Chilpéric essaya d’ajouter aux lettres latines un signe spécial pour ce son ; mais il n’y réussit pas, et l’usage a consacré th. L’anglais du moyen âge avait un e fermé (par exemple dans sed « semence » ) et un e ouvert (par exemple dans led « conduire » ) ; l’alphabet n’offrant pas de signes distincts pour ces deux sons, on imagina d’écrire seed et lead. En français, pour représenter la chuintante š, on recourut au signe double ch, etc., etc.

Il y a encore la préoccupation étymologique ; elle a été prépondérante à certaines époques, par exemple à la Renaissance. Souvent même c’est une fausse étymologie qui impose une graphie ; ainsi, on a introduit un d dans notre mot poids, comme s’il venait du latin pondus, alors qu’en réalité il vient de pensum. Mais il importe peu que l’application du principe soit correcte ou non : c’est le principe même de l’écriture étymologique qui est erroné.

Ailleurs, la cause échappe ; certaines chinoiseries n’ont pas même l’excuse de l’étymologie. Pourquoi a-t-on écrit en allemand thun au lieu de tun ? On a dit que le h représente l’aspirée qui suit la consonne ; mais alors il fallait l’introduire partout où la même aspiration se présente, et une foule de mots ne l’ont jamais reçu (Tugend, Tisch, etc.).

§ 5.

Effets de ce désaccord.

Il serait trop long de classer les inconséquences de l’écriture. Une des plus malheureuses est la multiplicité des signes pour le même son. Ainsi pour ž nous avons en français : j, g, ge (joli, geler, geai) ; pour z : z et s ; pour s, c, ç et t (nation) ; ss (chasser), sc (acquiescer), (acquiesçant), x (dix) ; pour k : c, qu, k, ch, cc, cqu (acquérir). Inversement plusieurs valeurs sont figurées par le même signe : ainsi t représente t ou s, g représente g ou ž, etc.