Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/90

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que i et u) ; mais quand on demande en vertu de quoi se produit la double fonction, ou le double effet acoustique (car le mot « fonction » ne veut pas dire autre chose), on répond : tel son a telle fonction selon qu’il reçoit ou non l’ « accent syllabique ».

C’est là un cercle vicieux : ou bien je suis libre en toute circonstance de dispenser à mon gré l’accent syllabique qui crée les sonantes, alors il n’y a aucune raison de l’appeler syllabique plutôt que sonantique ; ou bien, si l’accent syllabique a un sens, c’est apparemment qu’il se réclame des lois de la syllabe. Non seulement on ne fournit pas ces lois, mais on donne à cette qualité sonantique le nom de « silbenbildend », comme si à son tour la formation de la syllabe dépendait de cet accent.

On voit comment notre méthode s’oppose aux deux premières : par l’analyse de la syllabe, telle qu’elle se présente dans la chaîne, nous avons obtenu l’unité irréductible, le son ouvrant ou le son fermant, puis combinant ces unités, nous sommes arrivés à définir la limite de syllabe et le point vocalique. Nous savons dès lors dans quelles conditions physiologiques ces effets acoustiques doivent se produire. Les théories critiquées plus haut suivent la marche inverse : on prend des espèces phonologiques isolées, et de ces sons on prétend déduire la limite de syllabe et la place de la sonante. Or étant donnée une série quelconque de phonèmes, il peut y avoir une manière de les articuler plus naturelle, plus commode qu’une autre ; mais la faculté de choisir entre les articulations ouvrantes et fermantes subsiste dans une large mesure, et c’est de ce choix, non des espèces phonologiques directement, que dépendra la syllabation.

Sans doute cette théorie n’épuise ni ne résout toutes les questions. Ainsi l’hiatus, d’un emploi si fréquent, n’est pas autre chose qu’un chaînon implosif rompu, avec ou sans intervention de la volonté : Ex. i᷾-a͐ (dans il cria) ou a͐-i͐ (dans ébahi).