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nasales sonantes des suffixes.

M. Scherer (Z. Gesch. der deutsch. Spr., p. 223 seq.), parlant des thèmes des pronoms personnels, se livre à des conjectures dont M. Leskien a fait ressortir le caractère aventureux (Declination, p. 139) ; sur un point cependant le savant germaniste a touché juste sans aucun doute : c’est lorsqu’il restitue pour le pluriel du pronom de la 1e personne un thème contenant une nasale devant l’s : amsma, ansma. Ce n’est pas que les raisons théoriques de M. Scherer soient convaincantes ; mais le germanique uns, unsis ne s’explique que de cette façon. Au lieu de amsma ou ansma, il faut naturellement m̥sna ou n̥sma, d’où sortent avec une égale régularité le got. uns, le skr. asmád, le grec (éol.) ἄμμε = *ἀσμε.

Plusieurs cas d’une nature particulière, celui du nom de nombre cent par exemple, trouveront leur place dans un autre chapitre[1].

2. Syllabes suffixales.

La flexion des thèmes en -an (-en), -man (-men), -van (-ven) demande un examen détaillé qui trouvera mieux sa place dans un chapitre subséquent. Il suffit ici de relever ce qui a trait à la nasale sonante : dans la langue mère, le suffixe perdait son a aux cas dits faibles et très faibles. Dans ces derniers, la désinence commence par une voyelle et la nasale restait consonne ; aux cas « faibles » au contraire elle était obligée de prendre la fonction de voyelle, parce que la désinence commence par une consonne. Là est toute la différence. On a en sanskrit, du thème ukšán :

gén. sing. ukšṇ-ás instr. pl. ukšá-bhis (= ukšn̥-bhis)
dat. sing. ukšṇ-é loc. pl. ukšá-su (= ukšn̥-su)

Le grec fait au gén. sing. : ποιμένος, au dat. plur. : ποιμέσι, tous deux hystérogènes. Les anciennes formes ont dû être *ποιμν-ός

  1. Il est possible que la nasale sonante soit représentée en arien par i, u, dans le mot qui signifie langue : skr. ǵihvā́ et ǵuhū́, zd. hizva, hizu ; – l’ancien perse serait izāva selon la restitution de M. Oppert, mais . . āva seul est encore écrit sur le rocher. Comme la consonne qui commence le mot est un véritable Protée linguistique – elle diffère même dans l’iranien vis-à-vis de l’indien – et qu’en lituanien elle devient l, on conviendra que la glose d’Hésychius : λαυχάνη· γλῶσσα trouve son explication la plus naturelle dans la comparaison des mots cités : le thème primitif serait ?-n̥ghū ou ?-n̥gh : de là le lat. d-ingua, le got. t-uggon-, et le gr. *λ-αχϝαν-η, λαυχάνη. Le slave j-ęzy-kŭ montre aussi la sonante. Seul l’ë du lit. l-ëżuv-i-s s’écarte de la forme reconstruite. – Pour l’épenthèse de l’u dans le mot grec cf. plus haut (p. 17) λαυκανίη.