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nasales sonantes produites dans la dérivation.

Le thème grec ἑν- « un », plus anciennement *σεμ-, donne ἅ-παξ et ἁ-πλόος qui sont pour *σπαξ, σπλοος. La même forme sm̥- se retrouve dans le lat. sim-plex = *semplex et dans l’indien sa-kŕ̥t.

Dans le Véda, les adjectifs en -vant tirés de thèmes en -an, conservent souvent l’n final de ces thèmes devant le v : ómanvant, vŕ̥šaṇvant etc. Cela ne doit pas empêcher d’y reconnaître la nasale sonante, car devant y et w, soit en grec soit en sanskrit, c’est an et non pas a qui en est le représentant régulier[1]. C’est ce que nous aurions pu constater déjà à propos du participe parf. actif, à la page 22 où nous citions sasavā́n. Cette forme est seule de son espèce, les autres participes comme ǵaghanvā́n, vavanvā́n, montrant tous la nasale. sasavā́n lui-même répugne au mètre en plusieurs endroits ; Grassmann et M. Delbrück proposent sasanvā́n[2]. C’est en effet -anvā́n qu’on doit attendre comme continuation de -n̥wā́n, et -n̥wā́n est la seule forme qu’on puisse justifier morphologiquement : cf. çuçukvān, ćakvā́n. Le zend ǵaγnvāo est identique à ǵaghanvā́n.

La formation des féminins en constitue un chapitre spécial de la dérivation. Relevons seulement ceux que donnent les thèmes en -vant dont il vient d’être question : nr̥-vátī, re-vátī etc. Le grec répond par -ϝεσσα et non *-ϝασσα comme on attendrait. Homère emploie certains adjectifs en ϝεις au féminin : ἐς Πύλον ἠμαθόεντα, mais il ne s’en suit pourtant point que le fém. -ϝεσσα soit tout moderne : cela est d’autant moins probable qu’un primitif -ϝεντyα est impossible : il eût donné -ϝεισα. Mais l’absence de la nasale s’explique par le *-ϝασσα supposé, qui a remplacé son α par ε et qui, à part cela, est resté tel quel, se bornant à imiter le vocalisme du masculin.




Nous arrivons aux nasales sonantes des syllabes désinentielles, et par là au second mode de formation de ces phonèmes (v. page 20), celui où l’a, au lieu d’être expulsé comme dans les cas précédents, n’a existé à aucune époque. Il sera indispensable de tenir compte

  1. Cette évolution de la nasale sonante ne doit pas être mise en parallèle avec les phonèmes ī̆r et ū̆r, p. ex. dans titirvā́n, pūryáte, ou du moins seulement avec certaines précautions dont l’exposé demanderait une longue digression. L’existence du dans ćakr̥vā́n, ǵāgr̥vā́n, papr̥vā́n etc., suffit à faire toucher au doigt la disparité des deux phénomènes.
  2. On pourrait aussi conjecturer sasāvā́n ; cf. sātá, sāyáte.