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l’expulsion de a n’est pas possible partout.

trouve écrit : tatane à côté de tatné, kšamā́ à côté de kšmás. L’accent de kšamā́ suffirait pour déterminer la valeur de son a ; si cet a avait été de tout temps une voyelle pleine, il porterait le ton : « kšámā ».


En quittant les liquides et nasales sonantes, phonèmes dûs la plupart du temps à la chute d’un a, il est impossible de ne pas mentionner brièvement le cas où l’a est empêché d’obéir aux lois phonétiques qui demandent son expulsion. Ce cas ne se présente jamais pour les racines de la forme A et B (p. 9), le coefficient sonantique étant toujours prêt à prendre le rôle de voyelle radicale. Au contraire les racines de la forme C ne peuvent, sous peine de devenir imprononçables, se départir de leur a que dans certaines conditions presque exceptionnelles.

Devant un suffixe commençant par une consonne elles ne le pourront jamais.[1] Les formes indiennes comme taptá, sattá, tašṭá, les formes grecques comme ἑκτός, σκεπτός etc., pouvaient-elles perdre leur a, leur ε ? Non, évidemment ; et par conséquent elles n’infirment en aucune façon le principe de l’expulsion de l’a.

Le suffixe commence-t-il par une voyelle et demande-t-il en même temps l’affaiblissement de la racine, cet affaiblissement pourra avoir lieu dans un assez grand nombre de cas. Nous avons rencontré plus haut σχ-εῖν, σπ-εῖν, πτ-έσθαι etc. des racines σεχ, σεπ, πετ etc. En sanskrit on a par exemple bá-ps-ati de bhas, á-kš-an de ghas, lequel donne aussi par un phénomène analogue la racine secondaire ǵa-kš. Le plus souvent l’entourage des consonnes ne permettra pas de se passer de l’a. Prenons par exemple le participe parfait moyen sanskrit, lequel rejette l’a radical : les racines bhar de la forme A et vart de la forme B suivront la règle sans difficulté : ba-bhr-āṇá, va-vr̥t-āná. De même ghas, bien qu’étant de la forme C, donnerait s’il se conjuguait au moyen : *ǵa-kš-āṇá ; mais telle autre racine de la forme C, spaç par exemple, sera contrainte, de garder l’a : pa-spaç-āná. Ce simple fait éclaire tout un paradigme germanique : à babhrāṇá répond le got. baurans, à vavr̥tāná le got. vaurþans ; le type paspaçāná, c’est gibans. Tous les verbes qui suivent l’ablaut giba, gab, gebun, gibans, ont au participe passif un e (i) pour ainsi dire illégitime et qui, bien que très ancien, n’est là que par raccroc.

  1. On a cependant en sanskrit gdha, gdhi, sá-gdhi, zd. ha-ɣδaṅhu, venant de ghas par expulsion de l’a et suppression de la sifflante (comme dans pumbhís).