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LA TOUR DE LA LANTERNE.

ressée ; ses larmes furtives la touchèrent. Elle cessa de parler un moment, mais à la fin son silence lui pesant, elle se mit à interroger la jeune fille avec une si ronde simplicité que la pauvre enfant se laissa aller à lui conter ses peines.

Le cheval trottait toujours ; et à présent sur une route où les arbres se faisaient rares. Couverte de marais gâts et de marais salants, la campagne dénudée, ponctuée de distance en distance par des muids de sel en forme de cônes, laissait largement apercevoir, à droite de la route, la mer à l’horizon, comme une longue bande ouatée qui se confondait avec les nuages floconneux. Tout en parlant, Liette la regardait, mélancolique.

Ces confidences faites dans cette grise et triste nature et aux pas comptés du cheval, lorsqu’il gravissait les nombreuses petites côtes, ne soulageaient qu’à moitié son cœur. Elle murmurait son histoire d’une voix lente et fatiguée ; pensant, non sans raison, que ses peines, racontées aux autres, ne provoquaient qu’un très mince intérêt.

La femme qui l’écoutait, comme tous ceux qui vivaient en ce moment en France, avait une plaie dans l’âme qui la rendait distraite aux misères d’autrui. Inutile donc d’entrer dans les détails émouvants ; personne ne pourrait comprendre la craintive, l’obsédante et effrayante pensée qui la hantait depuis sa première tentative de reconnaissance, et dont elle n’aurait osé avouer le premier mot :

Oh ! être chassée de son pays comme une espionne et ne pouvoir plus jamais y revenir !

Puis, ne voyait-elle pas que son histoire, sa disparition, sa chute, ses dix années d’exil intéressaient, amusaient même plus la métayère qu’elles ne l’apitoyaient.

Alors, à quoi bon continuer ? pensa-t-elle, et peu à peu elle laissa tomber la conversation, ne répondant que vaguement aux questions distraites de maîtresse Châlin.

Il y avait bientôt deux heures qu’elles roulaient dans un paysage monotone, où l’on ne voyait que des champs de luzerne, quelques vignes, des prés ou des marais, rien de récréatif, rien de distrayant