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LE BON PARRAIN.

métayers, Liette courait dans le jardin après les papillons, ou mangeait des fraises en bordures, quand elle apercevait leurs petites têtes rouges et brillantes sortir de leurs collerettes vertes.

C’était pour elle des heures délicieuses, ces après-midi passées dans le jardin de Tasdon…

Le beau jardin ! et comme on aimerait à y rester sans l’affreuse odeur de morue que la brise vous apporte lorsqu’elle souffle de l’ouest. Car dans cette direction, en montant sur le tertre situé au bout de la grande allée, la vue s’égare sur un tas de chemises d’enfants, suspendues à des cordes et qui semblent sécher là depuis des semaines et des mois, en vous envoyant un bien mauvais parfum.

« Epouvantable », en effet, se dit Liette, en se bouchant le nez. Ces petites chemises, pense-t-elle, doivent être la sécherie de morues de M. Brimont.

« J’aime mieux que mon grand-père vende des livres, plutôt que ces sales morues, déclara-t-elle à M. Leypeumal, lorsque celui-ci vint la chercher pour partir.

— Tout le monde ne peut pas être libraire, ma chérie, lui répondit son parrain. Il est utile qu’il y ait des marchands de morues, comme il est nécessaire qu’il y ait des bouchers, des boulangers. Chaque état, vois-tu, a ses désagrements.

Oh ! cela elle le comprenait bien, Liette ; aussi déclara-t-elle qu’elle ne voudrait pas être, par exemple, porteuse de journaux ! Cette réflexion qui fit sourire M. Leypeumal replaça la fillette en plein dans ses soucis.

Elle était remontée en voiture et roulait depuis quelques minutes sur la poudreuse route qui conduit à la porte Royale, lorsque prenant enfin son parti, elle toucha doucement la manche de M. Leypeumal :

« Dis-moi, parrain, la maman de Cyrille a donc bien fait de le corriger, puisque tu as dit tout à l’heure à grand-père : « Voilà une salutaire leçon » ?

À cette demande qui montra en une seconde à M. Leypeumal toute la contrariété qu’il éprouverait lui-même si semblable aven-