Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
LA TOUR DE LA LANTERNE.

ture arrivait à son journal les Débats, qu’il lisait tout le premier chaque matin, il eut un haut-le-corps qui fit arrêter net sa jument et tressaillir Liette. Doucement, il répondit :

« Cyrille est un malandrin, un polisson. Il gagne bien sa vie (10 francs par mois), court toute la journée en toutes saisons, ce qui est parfait pour son âge, et il n’en a pas assez ! Il lui faut encore jouer aux billes, perdre son temps, c’est-à-dire celui que lui paie ton grand-père, gâcher les journaux qu’on lui confie. Tu ne sais donc pas, ma petite chérie, que ces journaux sont la récompense honnête, reposante et bien méritée que, chaque jour nous, les abonnés, attendons impatiemment les uns après les autres, avant ou après notre repas.

— Parrain, grand’maman Delfossy dit constamment, lorsque je désire quelque chose pour m’amuser, qu’il faut savoir se passer de ce qu’on ne peut pas avoir.

— Mme Delfossy a raison ; mais ici ce n’est pas la même chose, car si nous ne devions pas avoir le journal chaque matin, nous ne paierions pas M. Baude pour nous l’envoyer. »

Cette explication ne satisfit pas encore la fillette.

« Dis donc, parrain, reprit-elle, si par hasard la diligence qui apporte les journaux tombait dans le canal, il faudrait bien vous en passer ce jour-là. Est-ce qu’on irait battre Coudirin, le conducteur ?

— Ce ne serait sans doute pas de la faute de ce brave homme, répondit M. Leypeumal en souriant.

Cependant, si Coudirin était ivre, comme cela lui arrive parfois, que ferait-on ? demanda Liette, anxieuse.

— On le punirait certainement.

— Oui ; mais comme il est grand et fort, je me demande si on oserait aller le battre. »

Ce que Liette ne comprenait pas était donc bien difficile à expliquer, puisque M. Leypeumal, ne trouvant rien à lui répondre, se mit à rire en fouettant ferme Fidèle qui partit comme un trait, ne comprenant vien, elle non plus, la pauvre bete, à ce coup de fouet intempestif.