Page:Savignon - Filles de la pluie.djvu/208

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Elle ouvrit seulement de grands yeux. Et elle ajouta, souriant comme un ange :

— Vous savez bien que si j’aurais trouvé une barque pour m’envoyer là-bas, j’y serais moi aussi.

Un vapeur ! Il ne s’étonnait plus, car il devinait trop l’enthousiasme et la fièvre que cette arrivée devait susciter chez les natives. Quelque chose comme l’apparition d’un schooner dans les eaux d’un atoll oublié du Pacifique...

Car, pour Ouessant, n’était-ce pas le seul incident possible, une date dans la vie, à tel point que l’on précisait une année par le nom du navire, naufragé ou apparu qui l’avait illustrée ? Il y avait l’année du Chincha, celle du Russe, de l’Uzumbee, de la Ville de Palerme, de l’Européen, etc. Le « Russe » n’était qu’un surnom. On avait attribué cette nationalité à ce bateau, à cause de la barbe fauve des hommes qui le montaient et à cause de leur noble endurance à boire. C’était là un souvenir légendaire et lointain. Les temps ne l’avaient pas effacé. On rappelait, dans les veillées, que cinq îliennes étaient allées à bord de ce navire mystérieux. Mais on précisait bien qu’aucune ne s’était hasardée à descendre dans les cabines. C’était en ces jours abolis et purs, où les mères recom-