Page:Say - Œuvres diverses.djvu/25

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qu’il recevait une fois par semaine quelques hommes distingués, et les économistes étrangers, dont aucun ne manquait de venir lui rendre hommage. La haute portée de son esprit se révélait dans ces conversations intimes qu’il savait animer par des saillies originales et une variété de connaissances inépuisable. Il aimait à railler les hommes du pouvoir, et il ne laissait passer aucune occasion de stigmatiser les mauvais livres et les mauvaises mesures en Économie politique. Le système continental de l’Empire, les lois de douane de la Restauration qui ont chargé de droits si funestes les fers, les laines, les bestiaux, n’ont pas eu d’adversaire plus prononcé. Nul n’a travaillé avec plus de persévérance à dépopulariser la guerre, les entraves, les prohibitions, à faire apprécier, au contraire, l’importance des travaux publics, des routes, des canaux, et des libres communications entre tous les hommes. Après la Révolution de 1830, il ne put manquer d’être surpris et affligé de voir l’attention publique absorbée par l’apparition subite d’une foule de réformateurs, présentant chacun un système plus ou moins nouveau ; mais systèmes qui se ressemblaient tous en un point, le mépris de l’étude sur la véritable nature des choses. Jean-Baptiste Say dédaigna le combat ; il refusa de se commettre avec des gens qui ne parlaient ni la langue économique ni même la langue française ; il garda le silence le plus absolu. Ce vain bruit d’utopies expirait à sa porte. Il ne se laissait point étourdir par le fracas des rues. Il travaillait à l’amélioration du sort des classes pauvres, sans rechercher leurs faveurs, ni craindre leurs disgrâces. Il disait des vérités austères aux peuples et aux rois, avec l’impartialité d’un philosophe uniquement occupé des intérêts de la science et de l’humanité.

Sa santé était, du reste, depuis longtemps ébranlée ; son tempérament fort et nerveux semblait souffrir du travail sédentaire du cabinet dont il s’était fait esclave, et il était devenu sujet, dans ses dernières années, à des attaques d’apoplexie nerveuse, qui l’affaiblissaient de plus en plus et lui faisaient pressentir une fin prochaine. Une perte cruelle devait lui porter un coup fatal, qu’il supporta avec courage, mais auquel il ne pouvait longtemps survivre : Mme Say mourut le 10 janvier 1830 ; ceux qui l’ont connue savent seuls le charme inexprimable qu’elle a pu répandre sur l’existence de son mari. Elle réunissait au plus haut degré la dignité du caractère, l’élévation de l’esprit, la simplicité des manières ; elle prenait part sans pédantisme, comme sans prétention, aux conversations les plus sérieuses et semblait préoccupée du seul soin de faire valoir les autres. Son dévouement aux idées, aux goûts, aux opinions de son mari était complet, et les soins qu’elle lui prodiguait ne se sont jamais démentis. Une existence commune aussi longue, aussi intime, ne saurait être brisée sans que celui des deux qui a le malheur de survivre ne soit mortellement frappé.

Dès lors, en effet, la santé de J.-B. Say alla toujours en déclinant. On avait cherché à le distraire par un voyage, et il était en visite chez son frère, à