Page:Say - Œuvres diverses.djvu/294

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ne peut être fourni au-dessous d’un certain prix ? En admettant que les frais de production sont la circonstance principale qui donne de la valeur, il faudrait admettre qu’un produit qui serait revenu à cent francs vaudrait cent francs, quoiqu’il ne fût bon à rien et que personne n’en voulût. Si nous nous représentons la valeur d’une chose, par une quantité d’eau versée dans un vase jusqu’à ce qu’elle déborde, pourrons-nous dire que ce sont les bords du vase qui sont la cause qui fait qu’il y a de l’eau dans le vase parce qu’ils déterminent la hauteur au-dessus de laquelle l’eau ne saurait s’élever ?

Quelque penchant qu’aient les Anglais à soutenir les doctrines de leurs compatriotes, préférablement à celles des étrangers, il ne faut pas croire qu’ils abondent tous dans le sens de Ricardo. Nous vivons dans un siècle où les droits de la vérité marchent avant tous les autres. M. Tooke qui a montré, dans son livre sur les hauts prix et les bas prix, combien la doctrine des valeurs lui est familière, ne partage point l’avis de Ricardo qui a encore été combattu dernièrement par l’auteur d’une dissertation sur les valeurs dont le passage suivant me parait répandre du jour sur le même sujet[1] :

« Pour peu que l’on connaisse les manufactures, dit cet auteur, on sait qu’il y a, dans différentes occupations et même souvent dans des occupations pareilles, différents degrés d’habileté et de promptitude dans l’exécution, qui permettent à certains ouvriers de gagner le double de ce que gagnent leurs camarades dans le même espace de temps. On sait encore qu’il y a des cas où l’insalubrité du travail, son désagrément, le danger dont il est accompagné, affectent beaucoup le salaire qu’on en retire. On sait que la valeur de certains articles est la même, quoique produits dans différentes villes, par des ouvriers différents et dans des circonstances fort peu semblables. Si la nature et la quantité des travaux varient, et non le prix, peut-on affirmer que le prix dépend uniquement de ce travail ? Ce n’est pas répondre que de dire avec M. Mill, qu’en estimant les différentes quantités de travail, il faut accorder une certaine latitude aux différents degrés de difficulté et d’habileté. Des exceptions de ce genre détruisent la règle. Les différents degrés d’habileté sont des circonstances qui affectent la valeur des produits, aussi bien que les différentes quantités de travail ; la quantité de travail n’est donc pas la seule cause qui influe sur la valeur. Que penserions-nous

  1. A critical dissertation on Value, page 209.