Page:Say - Œuvres diverses.djvu/660

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à mes parents, de faire leur bonheur dans la suite, et de le partager… Quelle nouvelle pour mon père ! »

Alors Favelle se promena à grands pas ; puis, reprenant le cours de ses réflexions : « Je m’expose à tuer un jeune homme qui paraît bien élevé, qui a des parents tout comme moi, qui sans doute a pour eux le même attachement, qui leur est aussi cher, qui leur est peut-être plus nécessaire… Non ! il y aurait sottise et barbarie. Qu’ils m’appellent lâche s’ils veulent ; qu’ils parviennent même à le faire croire, peu m’importe. Il se trouvera quelques gens de bon sens qui diront que j’ai bien fait. Je n’aurai point à me reprocher ma mort ou celle d’un autre homme. »

Telle était la situation de son esprit lorsque son adversaire arriva. Il ne devait y avoir que deux témoins de chaque côté ; il s’en trouva bien une dizaine en tout. Favelle, après les réflexions qu’il avait faites, n’avait pas l’air bien résolu ; les assistants se chuchotaient à l’oreille. Quelques-uns affectèrent de dire assez haut : Il ne se battra pas. Le ton avec lequel ces paroles furent prononcées, les regards, certains gestes humiliants, tout contribua à rendre à Favelle sa fureur. Il saisit son pistolet : l’espace, la manière sont réglés ; les coups partent ; Favelle n’est pas atteint, mais il voit son antagoniste chanceler, faire de côté quelques pas sans proférer une seule plainte, et tomber dans un des fossés de la contre-allée.

Favelle jette son arme, pousse un cri douloureux en joignant ses deux mains, s’approche du blessé, auprès duquel avaient couru les témoins, et tout le monde s’aperçoit qu’il a été tué du coup. On n’en fut plus surpris lorsqu’on eut reconnu l’endroit où la balle avait porté.

Les témoins de Favelle, se tournant vers lui, le conjurèrent de s’éloigner en lui promettant qu’ils ne quitteraient pas le corps, qu’on allait avertir le chirurgien le plus proche, qu’ils sauraient si l’on devait avoir quelque espérance et qu’on lui en ferait part. Favelle, ordinairement fort doux et fort maître de lui, ne se connaissait plus ; il lui échappait tour à tour des gémissements, des imprécations. Tous ceux qui étaient présents se réunirent pour l’engager à se retirer, afin d’éviter toute poursuite ; il s’éloigna enfin et dirigea sans but ses pas vers la campagne.

Arrivé au bois de Boulogne, à l’ancien emplacement du château de Madrid, un accès de tristesse plus fort vint de nouveau l’accabler. Ses yeux étaient égarés, sa bouche béante ; on eût dit qu’il venait de commettre un crime. Hélas ! est-il bien certain que ce n’en fût pas un ? Alors se présenta à ses yeux M. Durand, c’était son hôte. Dès le matin, un bruit était parvenu jusqu’à lui que Favelle devait se battre. Des personnes qui l’avaient vu sortir, disaient qu’il s’était dirigé du côté de la route de Neuilly. Durand pensa tout de suite que le lieu du rendez-vous