Page:Say - Œuvres diverses.djvu/747

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je fais dans la supposition que telle chose en particulier est utile a l’homme, ne s’adressent pas à ce lecteur en particulier, mais seulement à ceux de mes lecteurs qui admettent avec moi l’utilité de la chose. Ainsi, si je dis qu’un aliment est utile en ce qu’il nous préserve de la faim, qui est un mal, qu’un vêtement est utile en ce qu’il nous préserve du froid, il est loisible, à qui le juge à propos, de nier ces propositions, et mes raisonnements à cette occasion ne s’adressent plus qu’à ceux des lecteurs qui pensent avec moi qu’un vêtement chaud et un aliment sain sont bons à quelque chose.

De même, si j’établis une comparaison entre l’utilité de deux objets, et que j’attribue, par exemple, a une maison qui nous met à l’abri des intempéries de l’air, plus d’utilité qu’à une bague qui nous gêne dans l’usage de notre main, il est permis à tout le monde de soutenir qu’une bague est plus utile qu’une maison ; seulement je préviens que mes raisonnements sur ce point ne s’adressent qu’à ceux qui pensent avec moi qu’une maison est plus utile qu’une bague.

Tout homme doué de son bon sens désire ce qui peut contribuer à son bien-être, ce qui lui est utile, et repousse ce qui produit en lui un malaise ou de la douleur, ce qui lui est nuisible. Si quelques personnes désirent et font des sacrifices pour avoir ce qui leur est nuisible, c’est :

Ou par ignorance, parce qu’elles ne connaissent pas les qualités nuisibles de ce qu’elles souhaitent, et leur attribuent des qualités utiles qu’elles n’ont pas ;

Ou par démence, lorsqu’elles souhaitent ce qu’elles savent leur être contraire ;

Ou par passion, c’est-à-dire, par une faiblesse qui leur fait sacrifier un bien-être futur à la satisfaction d’un appétit présent, ou un bienêtre présent et incontestable à un bien-être futur et contesté, comme les religieux de la Trappe.

Dans tous les cas où les hommes ne préfèrent pas ce qui leur est utile à ce qui leur est nuisible, il y a démence, ignorance ou passion ; ces trois circonstances sont donc les premiers obstacles au bien-être, au bonheur de l’homme ; car la première condition pour obtenir une chose, c’est de la désirer, de la rechercher. Quiconque travaille à éclairer l’ignorance, à guérir la démence, et à soumettre les passions à l’empire de la raison, est donc un bienfaiteur de l'humanité, et travaille efficacement au bonheur des hommes.

Ce qui est utile aux hommes peut, dans beaucoup de cas, être obtenu sans nuire à personne. L’homme qui par son travail se fait un revenu et se procure tous les objets de ses besoins, non-seulement ne se satisfait pas aux dépens des autres hommes, mais sa manière d’exister leur est favorable, et augmente leur bien-être. Il est d’autres cas où la satisfaction de l’un est contraire à celle d’un autre :