Page:Say - Œuvres diverses.djvu/748

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alors, c’est une borne que la nature a opposée à la satisfaction du premier. Si chacun pouvait chercher sa satisfaction aux dépens des autres, celle de tous serait compromise…

Un auteur étranger, ou plutôt un auteur qui n’est étranger à aucune nation, puisqu’il est avant tout citoyen du monde et ami de l’humanité tout entière, Jérémie Bentham, s’est occupé d’analyser l’utilité, et l’a fait avec une rare sagacité.

La nature, selon lui, a placé l’homme sous l’empire du plaisir et de la douleur. Nous leur rapportons toutes nos déterminations. Celui qui prétend se soustraire à cet assujettissement ne sait ce qu’il dit. Au moment même où il se refuse à la plus grande volupté, où il embrasse les plus vives peines, il a pour objet de chercher une satisfaction quelconque, ou bien de se soustraire à un état pénible, de s’en garantir, pour le présent ou pour l’avenir.

Nous appelons du nom de mal, une peine, une douleur, la cause d’une douleur. Nous avons nommé bien, un plaisir ou une cause de plaisir. Or, l’utilité est la propriété, la tendance d’une chose à nous préserver de quelque mal, ou à nous procurer quelque bien. Pour un individu, pour une communauté, ce qui est utile, c’est ce qui tend à augmenter pour eux la somme du bien, ou à diminuer la somme du mal.

Maintenant on peut se demander quel jugement un être doué de raison doit porter relativement au principe de l’utilité ainsi défini. Doit-il chérir, favoriser ce qui pour l’humanité tend à augmenter la somme du bien ou la somme du mal ? Dans le premier cas, il adopte le principe de l’utilité pour règle de ses jugements et de ses actions ; il mesure son approbation ou sa désapprobation d’un acte privé ou public sur sa tendance à augmenter la somme des biens dont les hommes peuvent jouir, ou à diminuer la somme de leurs maux. Pour lui, ce qui sera moral, ce que la morale conseillera, sera l’utile ; ce qui sera immoral, odieux, ce qu’il faudra défendre, sera le nuisible, le funeste.

II nommera bon ce qui est utile, ce qui augmente les plaisirs ou diminue les peines. Il qualifiera de mauvais ce qui engendre plus de peines que de plaisirs. Et remarquez, poursuit Bentham, que je prends ces mots plaisirs et peines dans leur signification la plus vulgaire. Je n’invente point de définitions arbitraires pour donner l’exclusion à certains plaisirs, pour préconiser certaines peines. Je ne veux consulter ni Platon, ni Épicure, pour savoir ce que c’est que la peine et le plaisir. J’appelle ainsi ce que chacun sent et appelle de ce nom, le paysan comme le prince, l’ignorant comme le philosophe.

Quiconque admet le principe de l’utilité, admet aussi le principe du juste et de l’injuste. Lorsque le bien produit devient la proie de quicon-