Aller au contenu

Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

navire compte, pour écouler sa cargaison, sur les achats des consommateurs qui achètent leur blé sous forme de pain, il perdra beaucoup de temps, et sa marchandise se détériorera. Peut-être pourra-t-il compter sur les boulangers ; cependant les boulangers ont pour occupation principale de transformer la farine en pain et d’en approvisionner journellement leurs pratiques ; ils peuvent certainement s’approvisionner de blé, mais chacun dans une proportion relativement restreinte et inégale, qui n’assurera vraisemblablement point la vente de la cargaison, surtout si l’arrivée du navire est inopportune pour ces marchands, à qui la prudence conseille de ne pas ajouter à leurs risques commerciaux ceux résultant d’un approvisionnement excessif et onéreux. Restent les meuniers qui s’occupent principalement de moudre le blé et de le livrer en farine, mais ces derniers sont un peu dans le cas des boulangers : ce n’est pas leur affaire de s’approvisionner juste à un moment où il plaît à un navire de venir dans le port ; ils préfèrent s’approvisionner quand bon leur semble ; d’ailleurs, les agriculteurs des environs sont là pour leur fournir ce qu’il leur faut. Si cependant ils se laissent tenter par le bon marché, et qu’il y ait abondance ultérieurement par la production indigène ou par de nouveaux arrivages, leurs approvisionnements auront été inutiles. D’autre part, s’ils n’achètent point et que le navire parte sans avoir vendu sa marchandise, la disette en pourra résulter. Boulangers, meuniers, patrons de navire, consommateurs, tout le monde est perplexe. Survient alors un homme hardi qui achète la cargaison et l’emmagasine, à ses risques et périls : l’avenir montrera s’il a rendu ou non service à son pays. Si oui, il sera, malgré cela, traité d’accapareur, si non, d’imprudent. Décidément le commerce des grains, dans ces conditions, ne peut se concevoir.

Il est infiniment préférable pour tous qu’il y ait un marché où boulangers, meuniers, minotiers se rendront, et trouveront toujours des négociants dont c’est la spécialité d’acheter le blé en gros pour le revendre et d’assurer qu’à telle époque il y aura livraison ; à ce marché ce sera nécessairement des opérations à terme qui se contracteront. Comment en effet supprimer le terme, à moins de supprimer le temps qu’il faut pour parcourir une distance ? Puis, cette circonstance qu’il y a un marché où Ton peut revendre permettra au meunier, au minotier, au b oulanger, de faire les opérations devant lesquelles nous les avons vus hésiter lorsqu’il n’y avait pas de marché. En outre, des circonstances

MARCHÉS A TERME

économiques, climatériques, locales peuvent inciter à son tour l’acheteur du blé livrable à telle époque à le vendre immédiatement livrable enfariné à telle autre époque et c’est ainsi que l’on s’explique comment capitalistes, banquiers, armateurs, négociants, importateurs, agriculteurs même se trouvent appelés à acheter des céréales dans le monde entier. Ainsi sont donnés le mouvement et la vie à l’agriculture, àl’industrie, au commerce (dans le sens le plus large du mot, car il ne n’agit pas ici de protection ni de libre-échange) ; ainsi est assurée à la consommation un débit avantageux et régulier ; ainsi est assuré le bien être de l’homme. (V. Spéculation.) Le marché à terme que nous venons de constater utile, nécessaire, fécond pour le commerce des grains et des farines, l’est également pour toutes les autres marchandises : métaux, sucres, huiles, alcools, laines, soies, etc. ; il est également nécessaire au marché des capitaux disponibles et des valeurs mobilières où nous voyons le capitaliste, le banquier, établissement de crédit ou individu, remplir, à l’égard de ces valeurs qui sont la marchandise, et de la consommation qui en l’espèce s’appelle l’épargne, le rôle que nous leur avons vu remplir au marché des céréales. Sans les marchés à terme les emprunts se couvriraient difficilement, car un titre de rente doit avoir, outre sa valeur propre, celle résultant de sa négociabilité et cette négociabilité ne peut être assurée que par le marché à terme. « En effet, sans supposer même d’emprunt, écrivait M. Chevalier dans un Mémoire à la commission chargée par le gouvernement impérial, en 1867, d’examiner la question des marchés à terme, la faveur dont jouit la rente à la Bourse, le maintien de ses cours viennent de la facilité de vendre, d’acheter à tout instant autant et aussi peu de titres qu’il convient et sans grandes variations ; or, par la force des choses, le classement et le déclassement des rentes ne sont jamais dans une égale proportion, autrement dit il y a des temps où le public achète plus de rentes qu’il n’en vend et d’autres où il en vend plus qu’il n’en achète. » Et l’auteur du Mémoire montrait le marché à terme, malgré sa fébrilité, sa sensibilité, tendant constamment au rôle de régulateur. Les parères de 1824 et de 1842, signés des plus grands noms des banquiers, négociants, commerçants et capitalistes de Paris, la décision de la chambre de commerce du 8 février 1882, rendue sur le rapport de M. Gustave Roy, son président, faisaient, aux termes près, la même démonstration. Bref le marché à terme a considérablement contribué à la réussite des emprunts