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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VI.

lancer, souvent même avec beaucoup d’avantage, le sacrifice qu’elle a coûté. Si le besoin n’existait pas, la consommation, la dépense, n’ont plus été qu’un mal sans compensation. Il en est de même des consommations de l’état : consommer pour consommer, dépenser par système, réclamer un service pour l’avantage de lui accorder un salaire, anéantir une chose pour avoir occasion de la payer, est une extravagance de la part d’un gouvernement comme de la part d’un particulier, et n’est pas plus excusable chez celui qui gouverne l’état, que chez le chef de toute autre entreprise. Un gouvernement dissipateur est même bien plus coupable qu’un particulier : celui-ci consomme des produits qui lui appartiennent, tandis qu’un gouvernement n’est pas propriétaire : il n’est qu’administrateur de la fortune publique[1].

Que doit-on penser dès-lors de plusieurs auteurs qui ont voulu établir que les fortunes particulières et la fortune publique étaient de nature fort différente ; que la fortune d’un particulier se grossissait à la vérité par l’épargne, mais que la fortune publique recevait, au contraire, son accroissement de l’augmentation des consommations ; et qui ont tiré de là cette dangereuse et fausse conséquence, que les règles qui servent à l’administration d’une fortune privée, et celles qui doivent diriger l’administration des deniers publics, non-seulement diffèrent entre elles, mais se trouvent souvent directement opposées ?

Si de tels principes ne se montraient que dans les livres, et n’étaient jamais mis en pratique, on pourrait s’en consoler, et les envoyer avec indifférence grossir l’immense amas des erreurs imprimées ; mais combien ne doit-on pas gémir sur l’humanité, lorsqu’on les voit professées par des hommes éminens en dignités, en talens, en instruction ; que dis-je ! Lorsqu’on les voit réduits en pratique par ceux qui sont armés du pouvoir, et qui peuvent prêter à l’erreur et au mauvais sens, la force des baïonnettes et celle du canon[2] ?

Madame de Maintenon rapporte, dans une lettre au cardinal de Noailles,

  1. Tout gouvernement qui se dit propriétaire de la fortune des particuliers, ou qui agit comme s’il l’était, est usurpateur ; or, l’usurpation est un fait et non pas un droit ; autrement un voleur assez adroit ou assez fort pour s’emparer du bien d’autrui, une fois qu’il serait devenu le plus faible et qu’on l’aurait saisi, serait néanmoins propriétaire légitime, et dispensé de la restitution.
  2. Il est aisé de s’apercevoir que ce passage, et plusieurs autres, ont été écrits sous un régime militaire qui s’était arrogé le droit d’épuiser toutes les ressources de la nation, et de lui parler seul pour lui prouver, sans être contredit, que c’était parfaitement bien fait.