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HEGEL


qu’un objet d’une certaine qualité procure constitue son utilité. Les objets utiles, quoique clilîérents, sont tous comparables en ce qu’ils satisfont un besoin quelconque à quelque degré. Le degvc de leur utilité, qui mesure l’intensité du besoin satisfait, quand on fait abstraction de sa nature spécifique, s’appelle valeur. L’idée de valeur rend donc commen- surables entre elles toutes les choses utiles.

11 s’ensuit qu’on a pu créer un signe repré- sentatif de toute utilité, une valeur qui ne satisfait pas tel besoin particulier, mais tout besoin  : c’est l’argent. Et cette marchandise générale qui peut toujours tenir lieu de toute autre permet de réaliser le contrat juri- dique de l’échange sur les bases d’une équité absolue.

Mais qu’est-ce donc qui oblige à pratiquer l’échange ? C’est que le travail se spécialise comme le besoin se raffine. Chacun ne pro- duit plus, dans un régime civilisé, tout ce dont il a besoin  : il y a division du travail, d’où la nécessité de l’échange. L’ensemble des valeurs d’échange constitue la richesse sociale. L’on recherche des raisons qui mo- tivent la participation des individus à la richesse sociale et la théorie de la réparti- tion.

Personne ne doit rien retirer du trésor commun s’il n’y verse une richesse équiva- lente, acquise ou produite. La part du revenu de chacun varie donc avec sa richesse acquise et avec sa faculté de produire. Mais il y a des raisons sociales qui nécessitent le développe- ment de certaines facultés de travail plutôt que d’autres, et l’accumulation de certains genres de capjitaux. La profession que nous exerçons, et la nature de notre revenu ne dé- pend donc pas seulement de notre choix  : la division existante du travail l’impose.

Mais la division du travail crée entre les travailleurs d’une même catégorie une solida- rité nouvelle d’intérêts. Ces intérêts se grou- pent eu corporations. C’est à tort que plusieurs Etats modernes ont supprimé les groupes cor- poratifs, car la corporation est le véritable intermédiaire entre l’individu et la totalité. Un lien de sentiment unit tous ses membres, et la certitude qu’elle donne à chacun d’être socia- lement utile, comme membre d’une corpora- tion, donne la satisfaction et la lierté professionnelles. La corporation fait de nous des hommes libres.

Il y a trois grands groupes corporatifs, c’est-à-dire trois éiafs dans la société. Le pre- mier est celui des travailleurs de la terre. Leur travail leur assure la propriété, non pas collective, mais individuelle. Le hégélianisme professe la théorie de la petite propriété agricole. Le deuxième état est celui des


industriels. Ils travaillent les objets extraits de la terre, soitpoursatisfaireune commande individuelle [artisans), soit en vue d’une de- mande générale (fab’icants) , ce qui chez He- gel signifie les ouvriers industriels. Ou bien encore ils fontcirculer, aumoyen de l’argent, les objets d’échange [commerçants). Dans cette analyse que fait Hegel du commerce et de l’industrie, le rôle du capitaliste n’est pas prévu, mais il n’est pas exclu non plus. Enfin il y a un troisième état qui s’occupe des intérêts de la collectivité tout entière. Ce sont les fonctionnaires ou administrateurs. Ils ont la supériorité intellectuelle. Ils concilient les intérêts prives là où ils sont en conflit. En 1801, Hegel identifiait cet état à la no- blesse.

3. Théorie des fonctions sociales. — Justice. — Police. — Corporation. — Les trois fonc- tions qui appartiennent en propre à la so- ciété et qui sont exercées parle troisième état, sont  : 1° de protéger la personnalité juri- dique, c’est-à-dire de réprimer le crime  ; 2’ de surveiller les échanges  ; 3° d’assurer du travail à tout individu. Économiquement, ce sont les deux dernières fonctions qui im- portent.

La société ne procède pas elle-même aux échanges. Hegel n’est pas collectiviste. Le rôle de la société est de veiller à ce que les échanges soient équitables, c’est-à-dire que la valeur soit partout la règle du prix. Elle interdit les prix de monopole. Elle fixe le tarif public des denrées. Elle s’oppose à la vente des denrées avariées. Cette fonction s’appelle police, au sens antique du mot TroXiexta.

La société doit protéger l’individu non seulement contre l’injustice individuelle, mais confiée l’injustice sociale, plus inévitable encore  : elle empêche la misère. Le fonction- nement économique engendre la misère nécessairement et pour deux raisons  : 1° il donne lieu à des surproductions et l’écoule- ment des stocks exige alors l’arrêt de tout travail et le renvoi d’ouvriers. « La société, dit Hegel, est pauvre de son trop de richesses ». 2° La division du travail favorise ceux qui disposent des moyens les plus généraux àe. sa- tisfaire le plus grand nombre de besoins. Les richesses tendent à s’accumuler entre les mains des commerçants, aux dépens du tra- vailleur voué aux besognes parcellaires. Il se forme ainsi et du même coup une classe riche et une classe dont la destinée est le travail le plus monotone et le moins rému- néré. Le luxe nait avec la misère et par les mêmes raisons. Il se forme au-dessous de la classe des ouvriers industriels qui mènent la plus précaire existence malgré leur travail, une classe d’hommes qui ne travaillent même


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