Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée



214 —


PLACEMENT


le conçoit pas pour l’ouvrier vivant sous le régime de l’esclavage. Comment l’esclave placerait-il son travail? Il n’en est pas le maître. Ce n’est pas son travail que l’on peut vendre. C’est sa personne même, ravalée au rang des choses. On ne le conçoit pas davan- tage sous un régime économique où l’ouvrier rural est attaché à la terre qu’il cultive, où l’ouvrier des villes est enfermé et immo- bilisé dans les cadres rigides d’une corpora- tion.

Mais la liberté du travail n’est pas la seule condition de l’existence du placement, il faut encore que, par un certain développement de la division du travail, par un suffisant ac- croissement de la population, par la nais- sance et les progrès de la grande industrie, il se soit formé une catégorie assez nombreuse d’individus ne possédant que leur travail et condamnés à vivre en travaillant pour le compte d’autrui. On ne renconti’erait pas le placement dans une société où chacun, petit propriétaire ou petit capitaliste, exploiterait lui-même et par son seul travail, sa terre ou son capital. On peut remarquer, en outre, que la plupart des systèmes socialistes, s’ils étaient réalisés pleinement, excluraient aussi le placement, non seulement parce qu’ils excluraient, suivant leur prétention, tout au moins, le chômage, mais parce qu’ils feraient de chaque individu un simple rouage dont la place et la fonction seraient déter- minées par voie d’autorité.

Il faut enfin, pour que le placement puisse acquérir une grande importance, que les moyens de communication soient très perfectionnés et que l’on arrive à constituer un véritable marché du travail.

Il y a peut-être quelque exagération à prétendre, comme on le fait parfois ’, « que la question du placement a surgi dès le milieu du moyen âge, le jour où les travail- leurs affranchis du servage, devenus libres de changer de maître et de se placer, assu- mèrent la responsabilité de leur propre existence et l’obligation de se procurer eux- mêmes du travail ». Nous sommes porté à croire, au contraire, que le moyen âge a très peu connu et ne pouvait guère connaître la question du placement. Et cela est facile à comprendre. L’ouvrier a vécu, au moyen âge, sous le régime des communautés de métiers ou corporations-. Sous ce régime, en principe, Touvrier, le travailleur libre et


1. Voy. le volume publié par l’Office du travail, p. 1.

2. Voy. dans l’Histoire générale de Paris, Le livre des nu’- tiers, d’Étienue Boileau, publié par de Lespinasse et Bon- nardot, 1879, Introduction, p. 90 et 113. — Voir aussi sur le rôle des corporations, de Molinari, Les bourses du travail, p. 3u et 37,


indépendant, n’existe pas. C’est à peine si on le trouve, dans un petit nombre de mé- tiers non définis ou pour des travaux pas- sagers et pressants. 11 n’existe (ju’à l’état d’exception. Or, il ne pouvait être question de placement que pour lui. Il en était ques- tion aussi, il est vrai, pour les servantes et les nourrices*, mais cela ne suffisait pas à donner au placement du travail une impor- tance bien considérable. En réalité, il en a été ainsi jusqu’à la fin du xvni’’ siècle, c’est- à-dire tant que les corporations ont subsisté.

La tentative la plus intéressante qui ait été faite en vue d’organiser le placement est due à Théophraste Renaudot, le médecin ordinaire de Louis XIII, et elle remonte à 1C12. C’est Renaudot qui obtint de Louis XIII « les permission et privilège, exclusivement à tous autres, de faire tenir bureaux et registres d’adresses de toutes commodités réciproques de ses sujets en tous lieux de son royaume et terres de son obéissance qu’il verra bonestre». Le bureau d’adresses se chargeait de la négociation de toute sorte d’aiïaires. Mais c’était avant tout et surtout un bureau de placement ’-.

Les corporations furent supprimées par le décret des 2-17 mars, 14 juin 1791. Le placement du travail devenait possible. Comment fut-il pratiqué durant la période révolutionnaire, de 1791 à la loi du 22 ger- minal an XI qui vint réglementer à nouveau l’industrie? Nous l’ignorons entièrement.

Les bureaux de placement furent institués par une ordonnance du préfet de police du 20 pluviôse an XII (10 février 1804) et étroi- tement reliés à la création du livret ouvrier due à la loi de germinal an XL A côté de ces bureaux, soumis à la plus sévère régle- mentation, le compagnonnage, qui avait déjà joué un rôle assez important sous l’ancien régime, apparaît comme l’un des instruments les plus efficaces du placement du travail depuis le commencement du siècle jus- qu’en 1848.

Peu de jours après la révolution du 24 Fé- vrier, le 10 mars 1848, le gouvernement pro- visoire établissait un bureau gratuit de renseignements dans les mairies de Paris. Ces bureaux devaient dresser les tableaux statistiques de l’offre et de la demande du travail. Ils devaient faciliter et régulariser les rapports entre les personnes qui cherchent l’emploi de leur travail et celles qui de- mandent des travailleurs. Un peu plus tard, le préfet de police Caussidière, sous la pression des ouvriers de certaines profes- sions, interdisait l’industrie du placement

1. Voir vol. Office du travail, p. 9-11. -. Voir vol. Office du travail, p. 44-5-.


PLACEMENT