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Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/384

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VOYAGE

ni se permettre de se placer devant elle. Les Neutres ne possèdent absolument rien, travaillent sans cesse, sont bien ou mal nourries, selon les chances ; mais les cinq cents Patriciennes ont des palais dans les fourmilières, elles y pondent des enfants qui sont l’orgueil de l’Empire Formique, et possèdent des parcs de Pucerons pour leur nourriture. J’assistai même à une chasse aux Pucerons, dans le domaine d’une Patricienne, spectacle qui me fit le plus grand plaisir à voir. On ne saurait imaginer jusqu’où ce peuple a poussé l’amour pour les petits, ni la perfection qu’il a su donner aux soins avec lesquels il les élève : comment les Neutres les brossent, les lèchent, les lavent, les veillent et les arrangent ! avec quelles admirables pensées de prévoyance elles les nourrissent et devinent les accidents auxquels ils sont exposés dans un âge si tendre. On étudie les températures, on les rentre quand il pleut, on les expose au soleil quand il fait beau, on les accoutume à faire jouer leurs mandibules, on les accompagne, on les exerce ; mais une fois grands, aussi tout est dit : plus d’amour, plus de sollicitude. Dans cet empire, l’état le meilleur pour les individus est d’être enfant.

Malgré la beauté des petits, la choquante inégalité de ces mœurs me frappa vivement ; je trouvai que les querelles des Moineaux de Paris étaient des vétilles, comparées aux malheurs de ces pauvres Neutres. Vous comprenez que ceci, pour un Friquet philosophe, n’était que la question même. Il y avait lieu d’examiner par quels ressorts les