LUCIE
À chère Béatris, que tout est bien allé ! [975]
Et que j'ai doctement à mon père parlé !
J'avais honte pourtant, bien assise à mon aise,
De le souffrir debout à côté de ma chaise.
J'ai fait croire au vieillard tout ce que j'ai voulu ;
Je ne me vis jamais l'esprit si résolu. [980]
Il croit assurément que je suis Dorothée,
Que celle qu'il a vue est personne apostée,
Que Dom Félix a fait parler pour de l'argent,
Qu'en cela l'on lui fait un affront outrageant :
Enfin, j'ai fait si bien avec mon beau langage, [985]
Que peut-être il rompra tantôt mon mariage.
Je l'entendais disant, en se mordant les doigts,
Dom Félix veut avoir deux femmes à la fois !
Et que l'une des deux soit ma fille Lucie !
Ah ! Vraiment l'alliance était fort bien choisie. [990]
Ah, j'empêcherai bien qu'on se moque de moi,
Impudent, affronteur, sans honneur et sans foi.
Enfin, je l'ai laissé pester tout à son aise,
Et suis vite venue au grand train de ma chaise,
Tout droit au rendez-vous que je t'avais donné, [995]
Où très adroitement tu l'avais amené.
Mais j'aperçois venir le vieillard qui rumine ;
Allons quitter le voile, et faisons bonne mine.
Scène II
DOM PEDRO, seul
L'on me faisait fort bien passer pour un Oison ;
Et ma fille Lucie a fort bonne raison [1000]
De n'avoir pas donné la main à la volée ;
Il faut qu'elle ait été du Ciel bien conseillée !
Et si son mariage on eut précipité,
Le gentil embarras où cela m'eût jeté !
Quoi ? Ma fille eut passé pour la seconde femme [1005]
Du brave Dom Félix ? Peste de l'infâme !
Il voulait donc avoir (voyez la trahison,)
Une femme à la ville, et l'autre à la maison.
Ah ! Ma fille, approchez, votre fortune est belle,
Nous devons au Seigneur une belle chandelle : [1010]