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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/163

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Le discours du triste arbrisseau
M’avait fait frissonner la peau.
Quand sa harangue fut finie,
Ma face, qu’elle avait ternie,
Reprit aussitôt sa couleur,
Et mon corps glacé sa chaleur.
J’envoyai vite à la galère
En avertir monsieur mon père,
Par lequel il fut résolu
Qu’on ferait au tombeau pollu
Un sacrifice salutaire :
Il ne fut pas longtemps à faire.
Les demoiselles d’Ilion
Firent longue ululation,
Et, si longtemps qu’elles voulurent,
Pleurèrent le mieux qu’elles purent.
On couvrit le lieu de cyprès,
On y répandit du lait frais
Qu’on tira d’une vache noire,
Dont but quiconque en voulut boire
Mon père fit un court sermon
Qui ne fut ni mauvais ni bon.
Les branches que j’avais cassées
Avec soin furent ramassées
Et rejointes à l’arbrisseau,
Dont il parut deux fois plus beau,
Avec rubans de couleur bleue.
Nous nous prîmes tous queue à queue,
Et, couronnés de branches d’if,
Chantant tout bas d’un air plaintif,
Nous regagnâmes nos galères ;
Puis, poussés par des vents prospères,
Eloignâmes, bien ébahis,
Cet abominable pays.
Le roi des déités humides,
Et la mère des Néréides,
Possèdent, moitié par moitié,
Sans en être en inimitié,
Une île dans la mer Egée,
Au blond Phébus fort obligée ;