Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/20

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Enfin ils ramèrent si bien
Qu’ils virent le bord libyen.
Là, mademoiselle Nature
Fait un port sans architecture,
D’une petite île couvert,
Où personne n’est pris sans vert ;
Car en tout temps d’herbe nouvelle
(Mais entre autres de pimprenelle)
Elle est pleine jusqu’en ses bords,
Au grand bien de ceux de dehors,
Qui viennent chaque jour de terre
En prendre pour mettre en leur verre.
Ce port peu connu des nochers,
Tout environné de rochers,
Représente une scène antique ;
Deux écueils font comme un portique,
A l’abri desquels les vaisseaux
N’ont peur de la fureur des eaux,
Ni des vents qui leur font la guerre
Non plus que s’ils étaient sur terre :
On prendrait ces écueils hideux,
Dont les arbres sont les cheveux,
Pour des géants qui sont en garde
S’ils étaient armés d’hallebarde.
Les rochers de l’autre côté
Sont très commodes en été,
Chacun d’eux ayant dans son ventre
Une caverne, ou bien un antre,
Où logent (maudit soit qui ment)
Les nymphes ordinairement.
Là, de belles sources d’eau douce,
Dont les bords sont couverts de mousse,
Disent à celui qui les voit :
 « Ne voulez-vous point boire un doigt ? »
Tout auprès, une forêt sombre
Où l’on est en tout temps à l’ombre,
Et dont les arbres toujours verts
Sont de l’âge de l’univers,
N’a jamais senti, que je sache,
Coup de serpe, cognée ou hache,