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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/212

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Gourmand, si jamais il en fut,
A qui toujours l’haleine put
Je l’ai vu, cet épouvantable,
Prendre un mien ami par le râble,
Et le croquer comme un lardon,
Et puis, Dieu me fasse pardon !
Prendre un autre sien camarade,
Et, lui donnant une froissade.
Contre le roc de sang enduit,
Comme l’autre sans être cuit
Le gober, en huître à l’écaille,
Os, chair, tripes, boudins, entraille.
J’ai vu le sang se répandant,
A ce grand diable à la grand’dent,
Le long de sa sale mâchoire,
De sang figé rougeâtre et noire ;
J’ai vu des membres palpiter,
Et dans sa bouche s’agiter
Tandis qu’il les mangeait encore :
Il ne mange pas ; il dévore,
Et le fait tant avidement,
Qu’il s’engoue ordinairement.
Ulysse, affligé du carnage
Que faisait cet anthropophage,
Ce maître avaleur de pois gris,
Reprend à la fin ses esprits :
Il fait si bien qu’il apprivoise
Cette nature rabajoise,
Lui fait boire du vin sans eau,
Non pas pour un simple tonneau,
Mais le second et le troisième,
Si bien que le Grand Polyphème
Buvant à tire-larigot,
Après maint hoquet et maint rot,
Se mit tant de vin dans la tête
Qu’à la fin cette grosse bête
S’endormit, qu’il n’en pouvait plus.
Lors il fut de son oeil perclus,
Aussi grand qu’une table ronde,
Au bonheur de tout notre monde,