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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/213

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Excepté de moi malheureux,
Qui ne pus me sauver comme eux.
Mais qu’attendez-vous davantage ?
Quittez ce dangereux rivage ;
Si vous aimez bien votre peau,
Cherchez votre salut dans l’eau.
Ce vilain a plus de cent frères,
Qui certes ne lui cèdent guère,
Tous bien buvant et bien mangeant,
Comme lui dévorant les gens ;
S’il faut qu’ils sentent la chair fraîche,
Il n’est homme qui vous empêche
D’être croqués en un clin d’oeil,
Dont certes je mourrais de deuil.
Par trois fois la lune cornue
Sur notre horizon est venue
Depuis que je suis dans ces bois,
Où je me cache en tapinois.
Je vois tous les jours ces grands hommes
La peste du siècle où nous sommes,
Qui gardent leurs boucs et brebis,
Couverts de peaux au lieu d’habits :
Lors mon sang de frayeur se glace,
Et je sens allonger ma face,
Sans hyperbole, d’un empan
Mon vivre n’est qu’un peu de gland,
Et quelquefois du fruit sauvage ;
Grâce à monsieur l’anthropophage,
Je meurs de faim le plus souvent.
Le moindre bruit que fait le vent,
Je pense que c’est Polyphème
Certes, ma misère est extrême,
Et jamais on ne pâtit tant,
Et vous-mêmes, en m’écoutant,
Vous faites aussi triste mine
Que moi sur qui la peur domine
Depuis ce temps-là, dans ce bord
Aucun navire n’a pris port.
Lorsque j’ai vu vos banderoles,
J’ai fait quatre ou cinq caprioles,